Réalisé par Daron Aronofski. Etats-Unis. Drame. Durée : 1h43. (Sortie le 9 février 2011). Avec Natalie Portman, Vincent Cassel, Mila Kunis, Winona Ryder et Barbara Hershey.

Au lieu de dire tout le mal que l’on pourrait dire de ce "Cygne Noir", on va ici essayer de comprendre tout le bien qu’en disent et en écrivent les autres.

D’abord, évidemment, un film qui permet de faire écouter presque in extenso "Le Lac des Cygnes" à un public bon enfant et soucieux d’être en rythme en mangeant son kilo de pop corn ne peut être tout à fait nocif.

Ensuite, le filmage publicitaire de Daron Aronofski ne troublera pas nos gourmands. Ils penseront certainement qu’ils regardent un long spot pour les chaussons de danse Repetto. Et puis, comme les professionnels de la profession hollywoodiens, ils estimeront que la mine effarée de Natalie Portman, livide, pas loin du chien battu par Vincent Cassel, est la preuve qu’elle est une grande comédienne. Comme ils n’ignorent pas qu’elle a séduit le chorégraphe du film, ils ne seront pas choqués de voir pendant la moitié de ce clip sa doublure occupée le terrain des entrechats.

Autre avantage pour nos spectateurs et nos professionnels bienveillants : la plupart d’entre eux n’ont jamais entendu parlé du duo magique Michael Powelle et Emeric Pressburger, maîtres d’oeuvre d’un chef-d’oeuvre sur la danse, "Les Chaussons Rouges". Ils ne pourront donc pas comparer l’incomparable Moira Shearer à la pâlichonne Natalie Portman et un filmage inspiré, dans son technicolor exubérant, et cette machinerie plan-plan malgré toutes les préciosités de la quincaillerie moderniste d’Aronofski.

Comme ils sont habitués par deux Coen et un seul Scorsese, à des films qui ne laissent personne respirer et qui pratiquent la perpétuelle prise d’otages visuelle, ils ne se sentiront pas agressés par ce jeune premier de la classe de l’effet grandiloquent.

Peu d’entre eux - ô les bienheureux ! - ont vu son "Requiem for a dream" et ont pu constater qu’il ne se posait aucune question de morale pour faire une belle image d’un fix ou pour transformer en épave alzheimérienne la sublime Faye Dunaway. Ils n’auront ainsi aucune arrière-pensée négative quand il récidive sporadiquement dans "Black Swan", comme dans les scènes humainement malsaines entre Natalie Portman et sa mère Barbara Hershey.

Enfin, ils ne sont pas responsables d’être jeunes et de n’avoir pas vu dans leur enfance les séries télés d’Odette Joyeux sur les petits rats de l’Opéra. Ça s’appelait "L’âge heureux" et ça développait le même océan de clichés sur la danse, les rivalités entre petites nanas en tutus prêtes à tout pour devenir des étoiles, toutes anorexiques et dures au mal à défaut de mâles, etc...

En conclusion, il ne faut pas accabler ceux qui ont aimé "Black Swan" et ceux qui auront envie de le voir en se reconnaissant dans le portrait tout en pop corn que l’on vient de tracer d’eux. Mais on peut signaler aux quelques irréductibles aux sirènes du cygne qu’ils devraient se procurer en DVD le beau documentaire de Fred Wiseman sur le corps de ballet de l’Opéra de Paris.