Seule en scène interprété par Jeanne Mordoj sur un texte de François Cervantès et dans une mise en scène de Julie Denisse.

Quand on entre dans la salle, une femme, Jeanne Mordoj, est affairée. Silencieuse, assise sur un tabouret au centre de la scène, elle coud dans un éclairage faible, recroquevillée sur une poupée de chiffon. Elle lève parfois la tête, ne voit pas le public qui s'installe.

Le décor est ceint par deux façades perpendiculaires. Le bas de ces murs hauts, crasseux, gangrénés par l'humidité, est couvert de poupées suspendues en équilibre précaire, savamment désalignées. Les gradins complètent un rectangle oppressant. Assis, nous faisons face aux poupées, sourires figés et regards vides, nous attendons.

Lorsqu’elle prend conscience de notre présence, Jeanne Mordoj s'anime. Bourrant ses amples vêtements, elle se fait poupée. Informe, difforme, elle danse, fausse joie et passion destructrice, elle anéantit son univers. Seule dans un monde qu'elle a peuplé de ses pantins, hantant sa vie de créations inabouties, doudous tour à tour consolants, envahissants et exclusifs, elle se raconte, nous raconte la solitude, la création compulsive.

A l'image d'Épinal qui présente l’art comme une transcendance, "Adieu poupée" substitue une production qui assèche méthodiquement, isole invariablement. La protagoniste va se défaire de son obsession, briser le joug de sa tyrannie inventive. Elle se tourne alors vers le langage, cherche l’humain, aussi imprévisible et vivant que les pantins sont ternes, finit par découvrir son public.

Jeanne Mordoj se départit pour cette pièce de ce qui avait fait le succès de son "Éloge du poil", préfère le risque à la redite. C'est une réussite déconcertante.

Clairement ancré dans le théâtre, épuré, "Adieu poupée" est un texte porté par une actrice impolie, organique. Le corps se fait voix, la pensée, dense, le remplit. Cette nouvelle proposition, moins spectaculaire ou du moins plus impressionnante par l’allusion que la performance, séduira difficilement les jeunes enfants.

Émouvant, ouvrant une multitude de pistes - tant intellectuelles que physiques - "Adieu poupée" garde pourtant ce sens du fétiche, de l'objet comme ami obsédant.