Réalisé par Xavier Durringer. France. Comédie dramatique. Durée : 1h45. (Sortie le 18 mai 2011). Avec Denis Podalydès, Florence Pernel, Samuel Labarthe, Bernard Le Coq, Hyppolite Girardot, Michèle Moretti, Dominique Besnehard et Saïda Jawad.
Film attendu au coin du bois de Boulogne, c’est-à-dire à Neuilly-sur-Seine, "La conquête" respecte scrupuleusement son cahier des charges : on y suit, au plus près, les longues dernières années pendant lesquelles Nicolas Sarkozy a réussi son pari chimérique, celui de devenir le sixième Président de la République française.
Plus qu’à un film, c’est à une vérification sur pièces que les spectateurs sont conviés.
D’abord, ils constateront que les acteurs ont réussi jusqu’au mimétisme à incarner les personnages politiques qu’ils sont censés jouer. Samuel Labarthe, à quelques grains de beauté près, est vraiment Villepin. Bernard Le Coq met les mains dans les poches d’un pantalon qui lui remonte pratiquement sous les épaules. Dominique Besnehard se venge de Ségolène Royal en endossant les habits de Pierre Charron et Hippolyte Girardot est plus glaçant que le vrai Claude Guéant.
Quant à Denis Podalydès, il réussit tellement à nous faire oublier qu’il s’est glissé dans la peau de Nicolas Sarkozy, qu’on croit par moments que c’est Nicolas Sarkozy lui-même qui se joue de nous en s’auto-interprétant.
Ensuite, tout paraît plausible jusqu’à la reconstitution parfaite.
Dans leur Q.G. de campagne, les "Sarkoboys" (+ Rachida) sont conformes aux photos qu’on en garde. Toutes les répliques qui sortent des bouches célèbres ont bien été prononcées et nous reviennent en mémoire.
On a l’impression bizarre d’être devant un cabinet de mannequins de cire animés, de voir se mouvoir des images d’Épinal. Tout semble si vrai, si dépourvu du faux cinématographique, qu’on se demande si on est au cinéma ou si on se cache dans la pénombre de nos toilettes pour tourner les pages d’une collection de numéros de Paris Match des années 2004 à 2007 dont il ne resterait que celles consacrées à Nicolas et Cécilia.
Jamais on ne peut faire le parallèle avec des tentatives prétendument voisines, comme "The Queen" de Stephen Frears ou "W" d’Oliver Stone, voire même "Le Caïman" de Nanni Moretti, puisque Xavier Durringer et son scénariste Patrick Rotman n’ont visiblement aucun point de vue, ni critique ni apologétique, sur Sarkozy. Désolé pour la méditation sur le pouvoir et sa prise, il faudra revoir le film sur Louis XIV de Roberto Rossellini.
Frears avait un point de vue sarcastique sur Tony Blair, Stone un avis assassin sur George Bush et Nanni Morettti ferraillait avec Berlusconi. Durringer, homme de théâtre et parfois cinéaste, se contente de diriger un acteur exceptionnel récitant des répliques "cultes", tellement connues et commentées qu’elles n’appellent plus ni adhésion ni contestation.
Au passage, il en a oublié une leçon de base quand on n’est pas Sacha Guitry et que l’on veut filmer des monstres sacrés politiques ou historiques : ne jamais leur mettre en bouche les mots qu’ils ont prononcé réellement parce qu’ils sonnent alors curieusement toujours faux, car les phrases historiques ne font jamais, au grand jamais, des répliques cinématographiques plausibles, a fortiori des mots d’auteur qui font mouche.
Dans ce faux "biopic", c’est là le hic majeur : des dialogues qui clochent parce qu’ils ne sont pas des dialogues, mais des propos vrais rapportés off par des journalistes et compilés par le très minutieux Rotman.
De plus, le film se tire une balle dans le pied en s’arrêtant sur la "case Clearstream" puisqu’il résume une affaire complexe en quelques scènes schématiques et que, soudain, il fait de Villepin un méchant d’opérette au risque d’avouer qu’au fond il faut le lire comme une œuvre pro-petit Nicolas.
Il y a fort à parier qu’une fois l’effet de curiosité assouvi, cet objet cinématographique bancal vieillisse très vite et n’aboutisse qu’au navrant constat habituel : l’impossibilité du cinéma français à traiter du politique et de la politique.
En tout cas, répétons-le, "La conquête" est un film périssable dont la date de péremption ne dépassera pas l’arrivée de l’été ou le dénouement des mésaventures de Monsieur Strauss-Kahn. D’ailleurs, si on craint qu’on nous serve l’année prochaine "Sofitel est pris qui croyait prendre", avec André Dussollier en DSK, il faut peut-être prier pour que les spectateurs boudent les aventures mirobolantes de Podalydès au pays des Sarkozy... |