Joseph Arthur n’a jamais été aussi bon qu’en solo. Sa grande maîtrise des samples lui permet de dépasser ce qu’un groupe est ordinairement capable de faire. Il a cette grâce dont peu de groupes américains peuvent se réclamer ; une grâce lui donnant une liberté sur scène, et produisant ses effets.
Car c’est aussi par la peinture que cet artiste exprime sa sensibilité, ainsi que cette mélancolie constamment au cœur de ses chansons. Sur scène est disposée au début du concert une grande toile, blanche, que le chanteur peindra progressivement jusqu’à la dernière chanson. Chaque nouveau concert équivaut en fait à une nouvelle toile, peinte dans l’humeur de la soirée.
Et tous ces tableaux représentent des visages déconstruits, traversés de couleurs indifféremment vives ou sombres, exprimant une certaine détresse. Alors que les boucles de guitare s’agencent pour canaliser l’ivresse mélodique, ce tableau en fait semble nous regarder, devenant à chaque fois plus vivant. A l’intérieur de cet œil – une femme sortie d’un Picasso méconnu ou d’un Bacon léger ? – apparaissent les lignes de désir.
Joseph Arthur nous aura ainsi captivés de bout en bout comme nous ne l’espérions plus. J’avais eu l’occasion de voir un concert de son groupe The Lonely Astronauts l’année dernière : son génie s’était effacé derrière le jeu des instruments. Ce gâchis m’avait rendu triste, car je savais intimement de quoi ce chanteur était capable. Et je n’avais surtout pas oublié ses deux premiers albums – Big City Secrets et Come To Where I’m From – sortis à la fin des années 90 ; assurément deux des albums les plus touchants que la Brit-pop eût pu produire en ce temps-là.
Il faut savoir aussi que, malgré une dizaine d’albums à son actif, Joseph Arthur n’a jamais eu le succès critique qu’il méritait, honteusement éclipsé par des groupes insignifiants, vous savez, ces nouveaux groupes encensés par les Inrocks, ce magazine très-très respectable et très-très cool capable du pire comme du pire. L’on parle là de groupes dont on n’entend plus parler au bout de six mois ; l’on parle ici de groupes uniquement pour faire vendre, selon les variations aléatoires de l’opinion. Mais Joseph Arthur n’en a rien à foutre de vendre la beauté impérieuse qui se trouve en lui. Joseph Arthur se contente d’être ce qu’il a toujours été : un somnambule magnifique. |