Voilà un bien singulier opus littéraire qui résiste à l'étiquetage et même à la tentative de synthèse par son éditeur dont la quatrième de couverture - "les dérèglements de la psyché dans un thriller rapide et halluciné construit comme une machine" - laisse dans l'expectative.
Alors, peut-être, y préférer celle de l'auteur, Louis Lahner, photo-portrait en deuxième page, visage auréolé de cheveux clairs, sourire de garnement malicieux qui joue avec le logo diablotin de son éditeur, déjà plusieurs vies en une - avocat reconverti au journalisme, réalisateur de documentaires, chroniqueur télé et écrivain - dont "3 jours à tuer" est le quatrième roman.
Alors donc, Louis Lanher révèle que ce roman a été conçu comme un "exutoire des émotions ressentis à la vision des films de David Lynch" dans lequel serait intégrée sa passion obsessionnelle pour "les dépassements stratosphériques des grosses cylindrées" engagées dans la course Gumball 3000, fondé par l'ex-mannequin britannique Maximillion Cooper, rallye automobile international de voitures de sport d'exception, mêlant vitesse et bamboche, réservé à la jet-set.
Et Maximillion Cooper se trouve être le nom du personnage principal et narrateur dudit roman.
Un personnage narcissique ("Mon rétroviseur central renvoie une image apaisante et sublime. Mes traits sont fins, anguleux, ma crinière grise descend parfaitement dans mon cou et vient épouser la forme sensuelle de mes pommettes creusées") et mégalomane ("le plus grand pilote automobile, un esthète du virage serré, un as de la réaccélération sur piste humide, un dieu pour autoroute, une sorte d'Alain Prost, mais en beau") dont le but suprême est de remporter l'Ultimate Race, la seule course à la hauteur de ses ambitions, 3 000 km en 3 jours, pour un trophée sans commune mesure ("Ma victoire ne signifiera qu'une chose, dans trois jours je vais vivre").
Voilà pour l'aspect
"Boire, fumer et conduire vite" de la Génération X. Quant à l'influence de David Lynch,
Louis Lanher applique en littérature l'écriture cinématographique lynchéenne en ce qu'elle consiste en une distorsion de la cohérence narrative. En conséquence, télescopages gigognes, flash backs réitératifs et béances spatio-temporelles rythment une narration puzzléique - qui s'inscrit également dans le sillon ellisien - embarquant le lecteur dans une histoire sans queue ni tête qui roule à tombeau ouvert.
Car Louis Lanher décline aussi la propension récurrente de David Lynch pour les identités instables : son super héros narcissique ("Le jour où nous devrons cloner l'humanité, je serai le premier modèle contacté. Maximillion Cooper apparaitra tout en haut de la liste, ne serait-ce que pour dupliquer le bleu unique de mes yeux, un monochrome liquide et glacial comme le ciel de Tchernobyl en 1986 qui cercle ma pupille"), beau comme un dieu ("J'ai le visage d'un acteur hollywoodien et le corps de sa doublure"), est aussi, et surtout, un psychopathe vraisemblablement schizophrène, victime d'un trouble identitaire majeur.
Alors bien sûr la toile de fond est la fameuse course traitée à la manière des comics dans laquelle se lance Maximillion Cooper avec pour co-pilote sa fiancée, elle aussi un canon de beauté ("A être unique, fantasme en adéquation"), mais qui manifeste autant de personnalité qu'une poupée gonflable ("Cette fille a l'intelligence de ne pas penser par elle-même, c'est un mode de vie évident lorsqu'on côtoie Maximillion Cooper").
Cela commence d'ailleurs mal pour lui qui doit faire face à des adversaires d'autant plus dangereux qu'il s'agit de néophytes suicidaires :
un inuit au look néanderthalien, chasseur de phoques au Groenland dont la fiancée a été dévorée par des huskis affamés, un américain qui pour sa première sortie de son Texas natal se rend à New-York le jour où explosent les Twin Towers où se trouvent sa femme et ses enfants et qui a raté son immolation par le feu et l'ingénieur employé au centre de surveillance des tsunamis à Hawai qui, le 25 décembre 2004, annonce que la forte secousse sismique décelée n'entraînera pas de menace de raz-de-marée.
Mais très vite, exit les rivaux. Le rallye infernal apparaît comme un leurre derrière lequel se joue la vraie course, celle d'une pathétique quête d'identité dont les racines sont ancrées dans la trouble enfance psychotique d'enfants bourreaux et victimes ("L'enfant est un nain cruel mais l'adolescent un psychopathe accompli").
Louis Lanher se meut dans l'enchevêtrement labyrinthique nourri d'autofiction fanstamagorique avec une aisance brillante, l'écriture peaufinée, le sens de la formule et un irrésistible humour à froid.
Maniant avec bonheur tous les registres, ainsi sa jubilatoire description du cauchemar des automobilistes qui empruntent le miracle routier que constitue l'unique route de Saint-Raphaël à Toulon lorsqu'ils sont coincés par le camping-panzer d'un touriste teuton, il délivre un passeport unique pour une destination inconnue, entre deux mondes, qui ravira les aventuriers homériens friands d'odyssées saturées de signes qui explorent les terres chaotiques du subconscient.
Mais en travaillant sur la réalité imaginaire de la fiction et le traitement de son personnage, il manipule également de manière intéressante l'illusion littéraire. |