L'exposition "Manet, inventeur du moderne" au Musée d'Orsay se présente comme la grande exposition du début de l'été en proposant une nouvelle et attendue rétrospective, après celle de 1983, réunissant un nombre important d'oeuvres d'un peintre majeur de la fin du 19ème siècle considéré ayant initié la rupture définitive avec l'académisme.
La monstration commence par un tableau non pas de Manet mais de Henri Fantin-Latour, "Hommage à Delacroix", qui a constitué pour le commissaire Stéphane Guégan, conservateur au Musée d'Orsay, le catalyseur de l'exposition.
En effet, à ses yeux, il montrait, de manière visionnaire, dans l'aéropage réuni sous le portrait du défunt Delacroix, Manet placé entre Jules Chamfleury, chantre du réalisme courbetien, et Charles Baudelaire, apôtre du romantisme.
Pour illustrer, et démontrer, cette novation radicale introduite dans l'histoire de l'art, Stéphane Guégan a conçu un parcours chrono-thématique en neuf sections scénographiées de manière dynamique et pétulante par l'architecte-scénographe Loretta Gaïtis.
Des sections qu'il a souhaité réflexives à partir du processus historique dans lequel a vécu le peintre et articulées autour de deux lignes de force dont la convergence fait de Manet le précurseur de la peinture moderne.
Manet, le Delacroix de la nouvelle peinture
Tous les avis sont aujourd'hui unanimes quant à l'apport majeur de Manet qui tient à la révolution qu'il a opéré dans la relation au spectateur par une démarche interactive voire agressive pour, allant au delà de la représentation, l'interpeller de manière frontale.
S'agissant des lignes de force, d'une part, formé par Thomas Couture, peintre académique et peintre officiel de la seconde république connaissant les fondamentaux de la peinture, qui lui transmet tout le savoir classique, usant d'un réalisme puissant, Edouard Manet se mesure en rival aux grands maîtres du passé, notamment les maîtres du Siècle d’or espagnol ("Le jeune garçon à l'épée") et ceux du Quattrocento italien, et ce dans tous les genres, peinture de dévotion incluse ("Jésus insulté par les soldats", Le Christ aux anges").
D'autre part, homme de son époque, il manifeste une remarquable prédisposition pour phagocyter les tendances émergentes qu'il revisite avec un syncrétisme et une originalité plastique et iconographique tout à fait singulières qui le propulsent en tête de ses contemporains.
C'est à ce titre que le commissaire de l'exposition évoque "l'impressionnisme piégé" de Manet pour les toiles dont les thématiques seront récurrentes chez les impressionnistes.
Des thématiques qui témoignent des réalités socio-culturelles de l'époque tel le développement d'une civilisation de loisirs ("La dame aux éventails", "La partie de croquet", "Sur la plage", "Les bords de Seine à Argenteuil").
Tout comme le naturalisme des
scènes de brasseries et de music-hall ("Chez le père Lathuille", "Le bar des Folies Bergère") et les portraits de plébéiennes, cocottes et mondaines ("La serveuse de bocks", "Liseuse") qui sont dans l'air du temps.
Peintre d'histoire, Manet s'inspire également des événements politiques de son temps et montre une belle virtuosité décoratives dans ses natures mortes.
L'exposition intègre également des toiles éminemment connues du grand public telles "La chanteuse des rues", "Le déjeuner sur l'herbe", "La maitresse de Baudelaire", " Olympia", "Le torero mort" et "Le balcon".
Dans cette dernière, inspirée des "Majas au balcon" de Francisco Goya, Berthe Morisot est assise au premier plan dans ce qui semble représenter la situation personnelle de Manet alors marié.
C'est la première fois qu'elle figure sur une toile de Manet qui prend souvent son entourage pour modèle.
Grand portraitiste pratiquant le réalisme subjectif, il en fera toute une série de portraits intimistes, 16 en 6 ans, qui scandent leur relation amoureuse jusqu'au mariage de celle-ci avec son frère cadet.
Stéphane Guégan leur consacre une section intitulée "Les promesses d'un visage", titre qui renvoie à un poème, une ode à l'amante, de Baudelaire et Isabelle Cahn, conservateur au Musée d'Orsay, indique dans le catalogue que Berthe Morisot, peintre également, encouragea Manet à privilégier la vision intériorisée reposant sur la connaissance de la personne au portrait mondain décoratif.