Comédie dramatique de Henrik Ibsen, mise en scène de Laurent Hatat, avec Émilie Bouruet Aubertot, Clémence Chatagnon, Nicolas Chevrier, Lucile Corbeille, Belén Cubilla, Chloé Duong, Julien Frégé, Thomas Mallen, Alix Montheil, Cécile Morelle, Benoît Morvan, Eva Rami, Frédérique Renda, Samuel Roger et Kevin Thebault.
"Les piliers de la société" constituent la première pièce du cycle constitutif de l'oeuvre tardive du dramaturge norvégien Henrik Ibsen, cycle composé de 12 pièces considérées comme majeures, parmi lesquelles "La maison de poupée", "Hedda Gabler" et "Les revenants", où il se livre à une virulente critique socio-politique de la bourgeoisie.
Elle se focalise sur une famille faisant partie des notables qui a, à l'instar de toutes les bonnes familles respectables représentatives de l'ordre moral sociétal, détiennent des squelettes dans le placard au rang desquels un enfant adultérin née d'une liaison avec une femme perdue issue pourtant du sérail familial et un beau-frère marqué injustement du sceau de l'infamie pour avoir dérobé de l'argent.
Mais quinze ans après, ces derniers, qui ont eu la bonne idée d'émigrer au Nouveau Monde, reviennent dans la mère patrie en quête de vérité et d'honorabilité. De quoi non seulement secouer le cocotier de l'honorabilité du potentat, le consul Bernick, qui a érigé un empire industriel avec sa société de chantier naval, mais faire trembler les fondements mêmes d'un microcosme bâti sur l'hypocrisie, le mensonge, la confusion des intérêts publics et privés et le pouvoir de l'argent.
Dans cette pièce, Henrik Ibsen n'a cependant pas totalement renoncé au théâtre psychologique et, en l'espèce, à l'imbrication d'intrigues secondaires qui donne à cette famille une connotation d'univers impitoyable à la "Dallas", il décline la condition de la femme au 19ème siècle avec une belle galerie de figures féminines, de la femme instrumentalisée à la femme "émancipée" en passant par la mère nourricière, et immerge les personnages dans une mélancolie métaphysique qui, entre respect de la norme établie et aspirations intimes, les plonge dans un permanent dilemme existentiel.
Ainsi, par exemple, le consul est tiraillé entre la réalité prosaïque de sa soif de puissance et d'argent, et la quête de l'idéal d'être reconnu comme guide vertueux et un bienfaiteur de l'humanité.
Laurent Hatat monte cette comédie dramatique avec beaucoup de sagacité et de rigueur - point de reconstitution historique ni même de décor mais des de chaises pour d'édifiants portraits de famille à géométrie variable - pour le spectacle de sortie de la promotion 2011 de l'Ecole Supérieure d'Art Dramatique de Paris qui s'avère être un millésime particulièrement homogène et talentueux.
Au rang duquel notamment le trio Chloé Duong, Eva Rami et Belén Cubilla (déjà vues dans une belle proposition personnelle "Christine L" présentée à La Loge), Benoît Morvan et Cécile Morelle, tous deux excellents dans le rôle du couple Bernick, Thomas Mallen très juste en pernicieux professeur puritain et, en observateur parasite qui distille une note d'humour, Nicolas Chevrier.