A compter du 4 juin 2011, et pour une durée de six mois, la Sérénissime ouvre les portes de ses Giardini, de l'Arsenal et de certains palais et lieux institutionnels à la 54ème Biennale Internationale d'Art Contemporain.

Précédant de peu cet événement, la Fondation Pinault, quant à elle, ouvrait les portes de son patrimoine artistique en inaugurant deux expositions complémentaires conçues par Caroline Bourgeois.

Au Palazzo Grassi, en interdépendance avec l'exposition "L'éloge du doute" présentée à la Punta della Dogana, deuxième site vénitien de monstration de l'exceptionnelle collection d'art contemporain constituée par François Pinault, l'exposition "Le monde vous appartient" s'articule autour d'une mise en perspective de différentes représentations du monde .

Elle est placée sous l'emblème de "L'homme pressé", une monumentale statue en bronze commandée spécialement pour l'occasion au sculpteur figuratif anglais Thomas Houseago qui n'est pas sans évoquer la statuaire antique.

Choix judicieux que ce colosse aux pieds d'argile surplombant le Grand Canal qui symbolise la puissance fragile de l'humanité, pour une exposition qui dresse un état des lieux du monde vu par des artistes des cinq continents qui s'inscrivent tous au rang des valeurs sûres et reconnues.

Puissance fragile puisque plane la menace symbolisée par un vautour, créé Sun Yuan et Peng Yu, les leaders de la scène artistique chinoise, qui attend perché sur le bâtiment.

Ecartant la mise en résonance des oeuvres ou leur appariement thématique, Caroline Bourgeois a opté pour une présentations monographique, un lieu - un artiste. Au visiteur de placer sa déambulation sur le mode réflexif pour tenter d'en dégager les lignes de force dont le point de convergence est résolument grave.

Le monde dans tous ses états

Le voyage muséal commence dès l'entrée, où, dans le vaste atrium, se déploie et prolifère une monumentale sculpture textile, "Contamination" de la portugaise Joana Vasconcelos, dont les attractives méandres multicolores ne parviennent pas à atténuer le sentiment d'inquiétante étrangeté généré par son déploiement tentaculaire de plante fantastique.

Grimpant dans les étages, elle est de surcroît vivante dans la mesure où il s'agit d'une oeuvre à la croissance évolutive, l'artiste y ajoutant régulièrement de nouvelles efflorescentes.

De côté, le visiteur reconnaîtra sans difficulté "Balloon Dog", le chien magenta du facétieux Jeff Koons, qui ressemble à ces animaux façonnés avec des ballons de baudruche, qui, après avoir trôné sur le ponton en 2006 monte une garde bien peu dissuasive auprès des androïdes en aluminium de Thomas Schütte.

Autre monstre mais du règne animal avec le "Ingubo Yesizwe" du sud-africain Nicholas Hlobo, dragon-brontosaure-alien acéphale déversant ses entrailles, de la même famille que celui doté d'un nom imprononçable et d'une tête de d'animal de heroic fantasy présenté à quelques encablures à la Corderie.

A noter, en premier lieu, la présence mineure des oeuvres vidéos, bien que la commissaire ait été chargée du domaine vidéo de la collection de François Pinault, avec notamment celles du vidéaste italien Francesco Vezzoli intitulée "Democracy" qui représentait l'Italie en 2007 à la 52ème Biennale de Venise.

Ensuite la présence importante des artistes asiatiques menés par Takashi Murakami avec une étonnante oeuvre de commande en 16 panneaux ("The Emergence of God at the Reversal of Fate) qui réinterprète des oeuvres des maitres japonais, tout comme Yang Jiechang revisite à l'asiatique Jerome Bosch avec "Stranger than Paradise", et la présence émergente des artistes arabes.

Pas à pas, le visiteur pourra constater la pérennité de la photographie sociale et documentaire post-soviétique ukrainienne, avec les séries Luriki des années 70-80 de Boris Mikhailov et les séries Kids des années 2000 de Sergey Bratkov révélatrice du poids du passé tout comme les phares du communisme chinois peints par Zhang Huan, et prendre la mesure des horreurs du 20ème siècle, de la guerre à l'oppression ethnique et sexiste avec les oeuvres figuratives du peintre irakien Ahmed Alsoudani, de la sudafricaine Marlène Dumas, et du plasticien afro-américain David Hammons.

Parmi les oeuvres monumentales les plus émouvantes, l'installation in situ "Respirare l'ombra" de Giuseppe Penone composée de panneaux de feuilles de laurier encore odorantes et d'une sculpture en bronze, dont les poumons dorés se végétalisent, qui constituent une évocation poétique de la forêt et de son amour pour Laure.

A côté de l'apôtre de l'Arte Povera, bien évidemment d'autres grandes figures incontournables de l'art contemporain rythment l'exposition dont le fondateur du réalisme capitaliste, le polonais Sigmar Polke, les chantres de l'hyperréalisme avec l'italien Maurizio Cattelan, dont les gisants "All" ont migré vers la Punta della Dogana, mais présent avec une déclinaison ludique de la performance "In bed with Lorca" de Gilbert et George et le sculpteur américain Charles Ray et des oeuvres pop-surréalistes du suisse Urs Fischer.

Autre installation émérite, celle du plasticien français Loris Gréaud avec son inquiétante et burtonienne "Gunpowder Forest Bubble".

S'agissant des jeunes générations, autre français Cyprien Gaillard, Prix Marcel Duchamp 2010, avec une vidéo, et le zimbabwéen Jonathan Wateridge dont les toiles qui ressemblent à des photographies de cinéma s'inscrivent dans le registre de la staged photography.

S'agissant de leurs aînés, s'il est impossible de rater l'ésotérique "Dialogue" auquel convie le coréen Lee Ufan et qui clôt l'exposition, il convient de s'arrêter devant le superbe "Autoportrait au cerveau qui fume" de l'italien Alighiero Boetti et "Hanging wall", le mur de l'incommunicabilité dressé par le hollandais Ger van Helk.