Jonas Hassen Khemiri est un auteur à la double nationalité tunisienne-suédoise. Mélange assez atypique, ouvrant forcément la voie à de nombreux conflits intérieurs mais aussi avec l’extérieur. Ils constitueront le cœur de son deuxième roman Montecore, un tigre unique.
Abbas a grandi dans un orphelinat, en Turquie. Il y a rencontré Kadir et une forte amitié est née entre eux ; une de ces relations qui naissent dans le silence des douleurs et qui durent malgré le tumulte de l’existence.
Entre les petits boulots et les amusements de la vie de célibataire, Abbas rencontre finalement l’amour : elle s’appelle Pernilla, est suédoise, habite à Stockholm. Il la rejoint dans ce pays inconnu, froid, avec l’espoir brûlant de pouvoir faire preuve de son talent et devenir un célèbre photographe. Mais dans les années 80 puis 90, le racisme commence à planter ses racines en Suède. L’existence d’Abbas sera donc loin d’être aussi prometteuse et dorée qu’il l’avait espéré. S’intégrer ou s’assimiler, préserver son identité ou favoriser son ambition, voilà les dilemmes auxquels il va être confronté sans relâche.
Outre ce thème intéressant (et pas forcément souvent exploité dans la littérature contemporaine), l’originalité de ce roman réside dans sa structure. En effet, le lecteur suit l’évolution de l’existence d’Abbas à travers la correspondance de son fils et de Kadir, ce dernier lui ayant demandé sa participation pour écrire un livre sur son père. La narration se fait ainsi au fil des souvenirs de ces deux personnages, qui sont loin d’avoir les mêmes opinions sur les agissements d’Abbas…
L’ensemble constitue au final un roman plutôt réussi, malgré un début assez pénible. L’originalité de l’écriture lui apporte beaucoup : les échanges entre l’ami et le fils dessinent un portrait curieux et complexe d’Abbas, parfois même plutôt drôle. Surtout, l’exposition de ces points de vue différents sur l’immigration apporte des réflexions intéressantes sur les questions d’assimilation et d’intégration, sur le mal-être de ces immigrés dont on attend souvent qu’ils renient leur culture pour se fondre dans la masse, mais qu’on continue d’appeler des "étrangers" même 30 ans après. Un livre loin d’être superflu, donc, dans cette période où le rejet de l’autre s’amplifie et où les gens n’ont plus honte de voter pour le Front National. |