Dans les années 90, Michka Assayas écrivait dans les Inrockuptibles des chroniques musicales qui avaient un ton singulier, nous touchant par leur subjectivité. En nous parlant du dernier Morrissey, de Joy Division, ou de ses éternels Beach Boys, Assayas en fait nous parlait de lui.
Dans ses récits on y retrouve également le même ton affirmé, le même détachement à l’endroit de la culture dominante. Les dernières pages d’un de ses premiers livres (Les Années Vides ou Dans sa peau, je ne sais plus) décrivent l’impact de Pet Sounds sur sa sensibilité d’adolescent, et son entrée difficile dans le monde adulte. Les références au rock sont inévitables chez l’auteur du Dictionnaire du Rock, mais dans ses récits ces références renvoient toujours à un élément autobiographique. Il ne s’agit pas, pour lui, de nous parler de son exaltation pour un groupe, mais de ce que son écoute a impliqué dans sa vie.
Dans son dernier livre Faute d’identité, Michka Assayas nous parle de son enfance, mais aucunement sur le mode de la confession ou de la thérapie : il se sent forcé de le faire : "ce livre est le surgissement de ma conscience face à un destin qui, brusquement, m’écrase". Le destin dont il parle enveloppe la perte d’un passeport en 2009, amenant l’auteur à s’interroger sur son identité face à l’incroyable difficulté, dans la France d’aujourd’hui, de régulariser sa situation. Il ne suffit pas d’être français, né en France de parents français, pour justifier de son identité française : encore faut-il le prouver.
Le combat que l’auteur décrit est aussi celui d’une France où les libertés se sont réduites comme une peau de chagrin, surtout depuis l’arrivée au pouvoir en 2007 "d’une sorte de Michel Drucker d’un genre teigneux". La formule fait sourire, mais courtement. Le livre en fait ne nous donne pas envie de rire ; il est traversé par une grande mélancolie, et aussi par l’impuissance. L’enfance de Michka Assayas a eu lieu dans un monde qui n’existe plus aujourd’hui. A ce propos il faut citer un important livre qu’avait publié son frère ainé Olivier il y a quelques années, Une Adolescence dans l’après-mai (2005), qui avec Faute d’identité entretient des résonances évidentes. Les deux frères s’interrogent identiquement sur les raisons de la profonde modification du monde dans lequel ils ont grandi. Olivier évoque le mouvement punk de 1976 et la Nouvelle Vague comme les seules possibilités qu’il avait de s’échapper d’un ennui global (celui des années Pompidou annulant les grandes espérances de mai 68) ; Michka quant à lui décrit sa passion pour le rock, lui permettant de contourner stratégiquement une longue carrière universitaire tracée d’avance.
Si Faute d’identité est un livre politique, il ne parle pas de politique. Il dénonce sans indignation (ce mot à la mode). Il touche surtout par sa tendresse. Les pages sur la mère de l’auteur font partie des plus émouvantes du récit : la relation qu’elle entretenait admirativement avec Malraux ; la description de sa mort ; l’amour qu’il n’a jamais réussi à lui dire, si ce n’est silencieusement, à l’occasion de l’écoute d’une chanson de Paul McCartney : "J’ai ressenti à ce moment-là que tout mon amour de la musique, cette façon que j’avais eue de m’y noyer parce que je n’arrivais pas à parler, c’est elle qui me les avait transmis (…)". Un livre politique, et assurément un beau livre autobiographique. |