Avec un disque comme celui-là, le label nancéien Ici d'ailleurs (Zëro, Arca, Orka, Programme, Bästard...), pourrait bien finir de se peindre l'aura d'un Constellation à la française.
Est-ce l'atmosphère abstraite, contemplative, l'occurrence occasionnelle de l'hébreu ? Est-ce l'usage extensif de field recordings ? Est-ce l'omniprésence d'un sentiment d'apocalypse, d'un pessimisme politique serein, où l'angoisse du divin tient une place d'épouvantail aux airs de point d'interrogation ? Est-ce parce que tout cela s'est commis en tout communauté, hivernale, avec notamment l'apparition d'une certaine Norsola Johnson (Gospeed you black emperor) ? Il y a en tout cas dans la découverte de cet album riche et atypique autant d'excitation qu'il y en avait, en 1999, à découvrir un certain Slow Riot for new Zero Kanada, à (re)découvrir F#A#∞. Sans déconner.
Non pas que Ruth Rosenthal & Xavier Klaine, le couple derrière Winter family, fassent à eux deux, et malgré leurs nombreux invités-associés, autant de boucan que la bande à Mike Moya & Efrim Menuck. Les sonorités du duo évoqueraient même plutôt les collages nostalgiques et épars de My Brother the Native. Mais il y a dans ce Red Sugar la même dolence délicieuse, une même résignation quelque peu rageuse que dans les premières productions des collectivistes montréalais.
Enregistré entre 2007 et 2010 entre la France, Israël et les États-Unis, l'album-disque a tout du patchwork raffiné, album-photographique d'une vie toujours déjà passée, jaunie sur le papier, écornée. Trace d'un passé teinté de mort, dès le présent. Soupirs musicaux accablés.
C'est sûr, on rigole peu. Mais Red Sugar n'en est pas moins l'un de ces succès épiques époustouflants, pleins d'âme et d'invention, qui va bien plus loin que ne va la seule musique (ce que, précisément, la préoccupation pop, omnipotente sur le marché musical d'aujourd'hui, ne pourra jamais saisir, avec ses mélodies et ses joliesses). |