Spectacle écrit et mis en scène par Rodrigo García, avec Gonzalo Cunill, Núria Lloansi, Juan Loriente, Juan Navarro et Jean-Benoît Ugeux.
Affichant tout haut "On ne vous empêche pas de croire, vous ne nous empêcherez pas de penser", le Théâtre du Rond-Point est transformé en bunker entouré de cordons de sécurité et deux contrôles successifs, avec portiques de détection, contrôle des sacs et fouille au corps, sont imposés aux spectateurs venus voir un spectacle par crainte de réitérations de manifestations virulentes de hordes catholiques.
Et pourtant, que de bruit et de fureur pour rien et certainement pas de quoi brûler un hérétique !
Avec "Golgota Picnic", l'enfant terrible du théâtre espagnol, qui n'est d'ailleurs pas prophète en son pays, le pourfendeur du capitalisme consumériste érigé en credo contemporain et de la barbarie du monde dit civilisé, est désormais taxé de christianophobie et d'incitation à la haine et à la violence envers les chrétiens.
Paraphrasant les paroles christiques, Rodrigo Garcia place son opus sous le signe de l'humour en ("En vérité, je vous le dis, qui n’a pas le sens de l’humour n’entend rien à la vie") mais il est bien connu tout le monde ne partage pas le même sens de l'humour. Et un demi siècle après le Christ crucifié sur un missile représentant "La civilisation occidentale et chrétienne" du plasticien Léon Ferrari et la comédie musicale Jésus Christ Superstar, il ne fait toujours pas bon de s'attaquer aux icônes religieuses.
Encore que ce qui "choque" ses opposants ce n'est pas tant l'iconoclasme, même si qualifier le Christ de meneur d'une poignée de fous dont le prêche sur l'amour universel annonçait le sida peut fâcher, mais le parallèle qu'il établit, par la voie de l'image "marketing" qui les représente, entre les multinationales et l'Eglise catholique. Mac Do/JC, même combat pour le gavage et l'abrutissement des masses.
Car sur le fond, à l'écriture, Rodrigo Garcia enfourche toujours ses mêmes rétifs chevaux de bataille et, à la mise en scène, use toujours de la performance transgressive qui, à la fois convenue et manifestant des signes d'usure, perdrait à chaque fois un peu plus sinon de son mordant du moins de son pouvoir dérangeant et persuasif n'était la projection en gros plan sur un écran monumental qui rend abjecte et/ou obscène même les images les plus banales telle qu'une bouche masticante. Alors quand elle régurgite...
Le spectacle est conçu en deux parties en rupture absolue qui se déroulent sur une scène tapissée de pains à hamburger dont la prégnante odeur suave subie plus de deux heures durant a au moins un effet bénéfique, celui de dégouter a jamais de manger un hamburger.
La première partie est une performance aux cordes un peu rebattues placée sous le signe de l'esthétisme du répugnant et de la saturation sonore et visuelle dispensées par des proférateurs-performeurs "hard" Gonzalo Cunill, Juan Loriente, Juan Navarro, Jean-Benoît Ugeux et Núria Lloansi qui ne lésinent pas dans l'implication corporelle.
Le texte en espagnol surtitré se perd dans le maelstrom scénique mais quand l'entendre, ou le lire, est possible force est de constater, d'une part, qu'il ressortit davantage à la poétique de la tristesse et de la nostalgie de la foi perdue que du blasphème et, d'autre part, que s'établit souvent une sorte de dichotomie entre le verbe et ce qui se passe sur scène qui fait l'effet d'un parasitage, bien que certaines images soient belles, telles celles du Saint-Suaire ou des corps dégoulinant de peinture qui prennent les postures des tableaux de dévotion des Primitifs et de la Renaissance quoi que encore plus belles en photo qu'en live. Il serait (sera ?) sans doute intéressant de voir la proposition d'un autre metteur en scène sur ce texte.
La seconde partie, dans la quasi pénombre, est uniquement musicale avec au piano, Marino Formenti qui interprète, divinement bien évidemment, "Les Sept Dernières Paroles du Christ sur la croix" de Joseph Haydn, cycle de huit mouvements d'une exceptionnelle inventivité et d'une ferveur absolue qui ramène à l'essence de la foi.
Si pour Gainsbourg Dieu est un fumeur de havanes, pour Rodrigo Garcia Jésus crucifié est un parachutiste au casque décoré d'épines qui n'en finit pas de tournoyer dans les airs.
A la question "comment définiriez-vous l’évolution récente de votre théâtre", Rodrigo Garcia répond : "Apparemment, il s’agit d’un voyage vers le silence et l’obscurité". "Golgota Picnic" pourrait bien en constituer une des ultimes étapes. |