Réalisé par Enrico Alexander Giordano. France. Drame.
1h 12. (Sortie 28 décembre 2011). Avec Boris Beynet
Ce n’est pas souvent qu’on sent et qu’on sait immédiatement qu’un film saisit vraiment quelque chose de son époque et, surtout, en restitue l’essence sous une forme pure et évidente.
Avec "Maître du monde", Enrico Alexander Giordano est ainsi synchro avec le grondement du temps.
Histoire minimale qui dit tout dans son titre, "Maître du monde" est à la fois une proposition théorique réussie et un parcours initiatique où l’énergie du désespoir mène à la beauté transcendée.
En suivant ce portrait nietzschéen d’un homme qui s’extrait de la comédie humaine, celle des traders et de l’argent fou, pour redevenir un homme face à lui-même et à la nature, le spectateur va également vivre une expérience unique.
Dans un cadre montagneux extraordinaire, le voilà seul devant un homme solitaire, partageant avec lui une vue imprenable sur des gouffres et des cimes. Et cet homme, il l’observe, il l’épie dans chaque instant de ses escalades grâce à la caméra mouvante et mobile d’Enrico Alexander Giordano. Il en découvre l’étrange étrangeté et peut même s’étonner de ses manières raffinées.
Tiré à quatre épingles, buvant dans un gobelet d’argent, ouvrant une bonne demi-bouteille et dégustant du caviar, ce solitaire poursuivant un but qu’on peut deviner a l’élégance affectée du héros de Huysmans. C’est Des Esseintes qui aspirerait à devenir un petit personnage tutoyant les sommets dans les tableaux de Caspar David Friedrich. C’est le millionnaire du Titanic qui s’apprêterait à mourir comme un gentleman en buvant un dernier whisky hors d’âge.
Muet, comme s’il écoutait les musiques qui ponctuent sa marche décidée et ses ascensions rendues compliquées par le barda sophistiqué qu’il transporte, il provoque une seule fois le silence en chuchotant une prière émouvante.
Bien sûr, il ne faut pas révéler la fin. D’ailleurs, y a-t-il une fin ? Chaque spectateur sensible à ses soixante douze minutes contemplatives, à cette plongée dans le destin hors du commun d’un homme pareil à tous les autres, gardera longtemps en lui les follement belles images de la parabole audacieuse et signifiante d’Enrico Alexander Giordano. |