Spectacle conçu et interprété par Angélica Liddell avec Gumersindo Puche.
Les festivaliers chics du Festival "On" d'Avignon, aiment être bousculés et marcher de temps en temps dans la fange trash.
En 2010, l'espagnole Angélica Liddell leur a donné du grain à moudre avec un volet de sa trilogie "Actes de résistance contre la mort", "El ano de Ricardo" écrit en 2005, qui, pour rester dans le ton de ce spectacle-performance, les a saisi bien fort par les couilles pour leur cracher au visage toute l'horreur du monde.
C'est maintenant au tour des spectateurs du Théâtre du Rond-Point de se confronter à la question ontologique du mal telle qu'elle est dispensée de manière volontairement obscène, au sens premier du terme, intransigeante et sans marquises littéraires, par cette comédienne formée au Conservatoire d’art dramatique de Madrid qui adopte un angle d'attaque frontal sans concession aucune.
Concevant le corps comme de la boue et le sien "comme un territoire de résistance, de conflit...traversé par la violence", ce qui implique de jouer en s'affranchissant de toute norme quelle qu'elle soit, elle endosse le masque du personnage historique de Richard III d'Angleterre, tel qu'il a été particulièrement représenté, et sans doute diabolisé, par Shakespeare, comme figure symbolique de "la pourriture humaine à laquelle nous participons et dont nous sommes tous complices".
Dans une chambre capitonnée de ballots de paille allusifs et parsemée de reliques et d'ex-voto signifiants, chambre de réclusion volontaire ou de contention imposée, sous l’œil d'un serviteur-officiant muet portant le nom du conseiller du roi Richard III, Catesby interprété par Gumersindo Puche, le visage émacié passé au blanc avec des orbites charbonneuses, face blafarde de la mort, un psychotique frénétique et convulsif en pyjama chinois se tord de douleur et délivre un oratorio malestromique sur la bestialité de l'homme qui a définitivement perdu sa part d'humanité.
Cette créature asexuée est celle de l'oppresseur, du barbare, du monstre, du tyran, du mal absolu tel qu'il est véhiculé notamment par l'utérus fécond de la démocratie aveugle qui porte au pouvoir des fous et/ou des malades (voir l'essai du journaliste et écrivain Pierre Accoce et du docteur Pierre Rentchnick, "Ces malades qui nous gouvernent" paru en 1988), la tyrannie du pouvoir mais mais aussi de la pensée dominante et bien pensante.
Angélica Lidell ramène le corps à ce qu'il est de manière organiciste quand ila perdu sa lumière : un horrible morceau de chair, une matière biologique qui suinte, bave , rote, pête, éructe, injurie et se consume de l'intérieur.
Crise, catharsis, exorcisme accompagné d'une musique de parade de cirque, de "La Marseillaise" et du "Requiem pour la reine Mary de Purcell qui ponctue l'interminable liste des atrocités commises par l'homme au fil des siècles et plus particulièrement du 20ème. Plusieurs lectures sont possibles, de celle du bouffon, le fou bossu, dont le numéro de clown permet de dire le politiquement incorrect jusqu'à la nausée, à celle de l'artiste expiatoire au sens du corps christique
En la forme, ce spectacle ressortit de l'art performatif qui a pour leviers essentiels la provocation et la transgression et passe par la souffrance physique du corps de l'acteur dans une démarche similaire à celle des intervenants de l'art corporel né au début des années 70. Avec sa logorrhée textuelle vomitive, Antonin Artaud et Thomas Bernhard ne sont pas loin.
Au Rond Point dans la petite salle Jean Tardieu, le spectacle est déflagratoire, éprouvant et peut-être salutaire. Le spectateur est secoué, anéanti, saisi, sans savoir dans un premier temps si c'est par le fond ou la forme, ou autre chose, de plus insidieux et dérangeant, l'image que lui renvoie son miroir intérieur.
Pour ceux qui ont tenu le choc, Angelica Lidell sera, fin mars, sur la scène du Théâtre National de l'Odéon non plus en solo mais avec une de ses pièces "La Casa de la fuerza". |