Réalisé par Chantal Akerman. France/Belgique. Drame. 2h07. (Sortie 25 janvier 2012). Avec Stanislas Merhar, Aurora Marion et Marc Barbé.
Si vous connaissez le nom de Chantal Akerman sans avoir vu ses films et que vous reprenez, sans les avoir vérifiés, les jugements des cuistres qui se gaussent de son cinéma en le qualifiant fielleusement d’"intello-chiant", il est temps de revoir vos a priori en allant voir "La Folie Almayer".
Car, si Chantal Akerman peut produire un cinéma très minimaliste à la limite de l’expérimental, elle n’a pas cessé depuis trente ans, et notamment depuis le réjouissant "Golden Eighties", de faire des sauts"réguliers du côté de la fiction.
Que la cinéaste de "Jeanne Dielman", où l’on voyait Delphine Seyrig vaquer à ses occupations de ménagère en temps réel, tente aujourd’hui de revisiter Joseph Conrad et son premier chef-d'oeuvre, "La Folie Almayer", n’est donc pas une aberration.
Au contraire, Akerman est tout à fait à sa place pour adapter le romancier anglais. Comme Coppola avant elle, avec "Apocalypse Now" tiré d’"Au cœur des ténèbres", elle a compris, mais de manière forcément plus radicale, que Conrad n’était pas un auteur de romans d’aventures, que les péripéties qui se déroulent dans ses ouvrages n’étaient pas l’essentiel.
Elle a bien lu Conrad : c’est une littérature des êtres et des âmes, un monde où chacun doit se retrouver ou se perdre entre vengeance et rachat, entre crainte ne pas être à la hauteur et peur de mourir seul.
Chantal Akerman est totalement fidèle à Conrad, même si elle prétend "l’adapter librement" en rendant complètement elliptique la relation d’amour-haine entre un père et sa fille, avec, en arrière-plan, la délicate condition des métis en pleine ère coloniale.
Akerman enfouit son récit, son squelette de récit dur et éprouvant, au cœur d’une forêt aussi opaque qu’étouffante. On se croirait dans la forêt métaphorique d"”Oncle Boonmee", dans l’ambiance des films d’Apichatpong Weerasethakul. Mais ici, pas question d’une spiritualité animiste.
Stanislas Merhar est seul, se débattant avec des relents de morale judéo-chrétienne, et les éléments naturels ne sont là que pour l’éprouver davantage. Fiévreux, usé mentalement, il atteint cette extrême que touchent souvent les personnages de Conrad, de Lord Jim au Colonel Kurtz. Soumis par la réalisatrice à un plans séquence final où il doit exprimer face à la caméra son infinie détresse, Merhar réussit une performance d’acteur inoubliable.
Akerman signe avec "La Folie Almayer" un grand film linéaire qui charrie de l’âme humaine et qui ne doit rebuter personne. En découvrant sa belle version du roman de Conrad, on devrait avoir envie d’en savoir plus sur l’une des rares cinéastes à avoir construit une œuvre. Ceux qui s’y risqueront ne le regretteront vraiment pas. |