Evacuons d’abord la partie inintéressante. Sur sa réputation d’abord : sa transformation physique en quelques années, la façon dont ses vidéos (produites très intelligemment) se sont répandues sur le net ont fait hurler certains au coup marketing.
Soit ce n’est pas vrai, elle a juste souffert d’un virus qui lui a fait enfler les lèvres, elle a appris à affirmer un look vestimentaire et a rencontré des gens qui lui voulaient du bien et le débat est clos. Soit c’est vrai et là se posent les deux questions suivantes : est-ce condamnable moralement et cela a-t-il une importance réelle ?
Ayant moi-même dans le passé défendu Malcolm McLaren et "ses" Sex Pistols, grands escrocs autoproclamés du rock’n roll, je me permets de rappeler que ce genre de démarche balise l’histoire de la pop depuis son début. Il y a une forme d’exigence du "pureté" propre au monde "indy" qui tend à assimiler les artistes "authentiques" aux artistes maudits (Nirvana…), donc à se méfier d’autant plus des "fakes" dont le succès rendrait d’autant plus difficile celui d’artistes plus "méritants".
Mais in fine ce qui compte pour moi, ce sont les chansons. Elles sont bonnes ou pas. Plus largement, il faut apprendre à dissocier l’œuvre (l’art est amoral) de l’artiste et de sa vie. Céline est un grand écrivain, certainement pas un mec bien.
Mais enfin venons-en aux faits : cet album est-il bon ? On remarque d’abord l’absence du titre présent sur internet "Kinda Outta Luck". Dommage mais ça s’explique après écoute de l’album puisque le choix semble être de s’éloigner de l’intemporalité de chansons comme "Video games" pour resituer la chanteuse dans une mouvance plus actuelle, que je qualifierais d’hip-trip-hop.
Est-ce que ça fonctionne ? A mon oreille, non. Ce qui faisait à mon sens l’intérêt de Lana Del Rey, à savoir une voix grave surprenante, une ambiance désabusée et légèrement comateuse disparaît à peu près complètement à cause de choix d’arrangements sur le fonds (on cherche à la faire chanter plus haut, peut-être pour se rapprocher de Madonna ou Britney Spears) et sur la forme (grosses caisses claires réverbérées, cordes dégoulinantes...). Alors que la magie de Video games reposait justement sur le dépouillement, la place de la voix, une rythmique en fonds et quelques vraies trouvailles (la harpe par exemple), on se retrouve ici avec une production formatée et prévisible qui linéarise complètement les chansons.
Où est passée Lana Del Rey ? On pourrait faire chanter ces chansons à de nombreuses autres chanteuses. Quelques mélodies surnagent cependant, et parfois un équilibre se dégage. Sortent du lot des chansons comme "Born to die", "Off to the races" (malgré une prestation vocale qui frise parfois le numéro d’Hercule de foire), "National Anthem", "Radio", "Carmen", "Million dollar man".
Pour le reste, on est souvent dans le sous-Madonna ("Lolita", "Dark Paradise"…).
Donc oui cet album est bon, dans la mesure où il contient deux très bonnes chansons, quatre ou cinq très correctes, ce qui est mieux que la moyenne de la production musicale actuelle. Mais quelle déception par rapport aux promesses de Video games !
En conclusion, Lana del Rey semble avoir choisi d’arrêter d’exister en tant qu’artiste pour pouvoir exister en tant que produit. Tant mieux pour elle, tant pis pour nous. |