Réalisé par Andrei Zviaguintsev. Russie. Drame. 1h49. (Sortie 7 mars 2012). Avec Nadejda Markina, Andreï Smirnov et Alexeï Liadova.

Le cinéma russe n’encombre guère les écrans occidentaux. C’est peut-être sa chance : le peu qu’on en voit donne toujours envie d’en voir davantage.

Ce sera le cas d’"Elena", Prix Spécial du Jury du Festival de Cannes 2011, qui réussit le tour de force d’en dire beaucoup sur l’état du pays de Vladimir Poutine.

Andreï Zviaguinstev, Lion d’Or à Venise en 2003 pour "Le Retour", raconte en apparence une histoire toute simple : une femme use d’une surdose de viagra pour supprimer son mari qui voulait la déshériter au profit de sa fille issue d’un précédent mariage.

L’histoire pourrait n’être que classiquement "chabrolienne". Mais Zviaguinstev est un quadragénaire russe et, se souvenant de sa jeunesse soviétique, il a passé au crible de la vieille lutte des classes ce qui n’aurait pu être qu’un drame domestique aux relents bourgeois et psychologiques.

Elena, la femme, est en effet une russe issue des classes populaires. Elle a épousé l’homme vieillissant et riche qu’elle soignait. En échange, celui-ci a subvenu aux besoins du fils d’Elena et de sa famille pas très reluisante, genre famille "Groseille" russe.

Très soigneux et précis, Zviaguinstev suit les déplacements d’Elena qui part de son bel appartement moscovite pour rejoindre le glauque HLM où s’entassent ses enfants et petit-enfants dans une triste banlieue polluée par la centrale voisine. Cette virée manichéenne presque documentaire au cœur des contradictions de la Russie poutinienne est filmée avec une grande aisance et exposée avec une grande retenue. Pas besoin de s’appesantir sur ce qu’on voit : on comprend immédiatement le contraste des deux mondes.

La dureté du mari d’Elena, c’est celle des hiérarques du régime, qui méprisent ces "Petits Russes" incapables de s’insérer dans le nouveau monde libéral. Le crime d’Elena, c’est la vengeance d’une mère courage, baignant dans la religiosité orthodoxe, qui ne supporte pas la vie dissolue de la fille de son mari et qui ne se résigne pas à lui céder la place.

On n’oubliera pas Nadejda Markina en Elena, quinquagénaire douloureuse et décidée, prenant les choses en main pour sauver les siens. On n’oubliera ce film qui prend les apparences d’un "thriller" pour dresser un tableau au scalpel de la Russie d’aujourd’hui et qui confirme, s’il était besoin, qu’Andreï Zviaguintsev est un réalisateur majeur dont la belle mise en scène classique s’apprécie dans chaque plan.