Comédie burlesque d'après l'oeuvre d'Alfred Jarry, mise en scène de Dan Jemmett, avec Giovanni Calò, Eric Cantona et Valérie Crouzet. Comme Gérard Depardieu préfère jouer le Père Ubu sur des estrades politiques, Dan Jemmett a eu la bonne idée de proposer le rôle à Éric Cantona, le seul sportif pataphysicien.
Ne pas oublier que c’est sous forme de marionnettes qu’a été créé "Ubu Roi", que Alfred Jarry se moquait d’un pion dans cette pochade et qu’il n’était pas question de critique politique ou sociale mais d’une grosse farce débridée,"énaurme", occasion d’aligner les "merdre" et les paillardises. Même chose, en encore moins cohérent, dans les suites d’Ubu, dont cet "Ubu enchaîné", second volet de la saga.
En principe - mais faut-il avoir des principes quand on monte ou démonte Jarry ? - on joue tout Ubu et on n’isole pas "Ubu enchaîné". Tout ça pour finir par dire que Dan Jemmett et Mériam Korichi ont bien eu raison de n’avoir aucun respect pour une œuvre que Jarry n’avait pas conçu pour être respectable.
Avec le mince argument ubuesque d’"Ubu enchaîné", Dan Jemmett a tiré une bonne heure théâtrale, ce qui dénote de l’habileté chez ce sujet britannique qui s’est mis au service de l’ancien roi de Pologne et d’Aragon, pas déçu d’être déchu, et prêt à rajouter du grotesque à sa dialectique, genre "l’esclavage, c’est la liberté"...
Sur scène, occupant les deux-tiers de l’espace, un petit personnage petit-déjeune, beurrant des toasts et cuisant des œufs, menant et malmenant une pauvre fleur (on prendra le risque de dire qu’il s’agit d’un lys). Tout semble banal, sauf qu’il s’évertue à casser ce qu’il vient de poser avec précaution sur sa table, renverse ses toasts et ses œufs, les piétine puis tente de les reconstituer.
Bref, Giovanni Calo joue un petit bonhomme bien contradictoire comme cet enchaîné qui se dit libre... et qui lui, est assis sur un fauteuil-trône à l’intérieur de ce qui pourrait être un castel de marionnettes, à la gauche de la scène.
De temps à autre, Giovanni Calo ouvre le rideau du castel laissant apparaître la tribu Ubu : le père, assis, la mère, debout ou sur le(les) genou(x) du père. Dès qu’il apparaît, Ubu part au quart de tour pour beugler de sa voix méridionale des discours à faire pâlir tous les dictateurs d’hier et d’aujourd’hui.
Celui qui fut un "Red Devil" se démène comme un beau diable, connaît son texte à la perfection et incarne avec arrogance cette vieille carne d’Ubu. Quand le petit théâtre se transforme en cage, l’homme en costume rouge en rugit d’aise et la mère Ubu est à l’unisson, grâce à une Valérie Crouzet sexy et méchante comme Cruella.
Pendant cette heure orchestrée dans un savant chaos par Dan Jemmett et son décorateur Dirk Bird, on aura même la surprise de voir de tout près l’avant-centre de Manchester aussi méchant qu’à l’époque où il corrigeait les hooligans.
Qu’Ubu ait la rancune mancunienne n’aurait pas étonné Jerry qui doit être ravi, de là où il boit, que ce Cantona déchaîné soit un parfait Ubu enchaîné. |