Comédie dramatique de Sándor Márai, mise en scène de Jean-Louis Thamin, aec Jean-Marie Galey, Teresa Ovidio Baptista et Hervé Van der Meulen.
Avant d’être la rencontre de Giacomo Casanova et du Duc de Parme, "La Conversation de Bolzano” est d’abord celle du libertin le plus célèbre du XVIIIème siècle avec Sandor Marai, un des auteurs hongrois majeurs du XXème siècle.
Comme son personnage, Sandor Marai a payé cher son goût pour la parole libre. Né en 1900, il a connu la gloire dans son pays avec un roman prémonitoire sur la montée du fascisme, "Confession d’un bourgeois" (1934). Très vite, il a condamné l’alliance de la Hongrie avec les pays de l’Axe. Commence alors pour lui, une longue vie d’errance et d’exil qui se poursuivra quand la Hongrie basculera dans le communisme.
Quand, en 1940, il écrit "La Conversation de Bolzano", il peut donc s’identifier à un Casanova qui vient de s’échapper des prisons vénitiennes, qui entame la seconde partie de sa vie en cherchant à fuir les régimes policiers de l’Italie tout en étant conscient que sa jeunesse s’achève.
Dans l’adaptation théâtrale qu’en tirent Jean-Marie Galey et Jean-Louis Thamin, Casanova fait face au duc et à la duchesse de Parme dans une nuit qui va être déterminante pour le restant de son existence. À peine sorti des cachots de la terrible prison des Plombs, Casanova doit choisir : renoncer à sa liberté, cette liberté viscérale qui dictait ses excès, accepter la fortune avec comme condition l’infortune de ne plus jamais aimer.
Dans la chambre où il se cache, Casanova est déjà dans le désabusement, la fatalité d’un destin désormais voué à l’ombre plutôt qu’à la lumière.
Qu’il se travestisse en femme ou cherche à redevenir lui-même, qu’il s’oppose à l’autocrate sans scrupules qui veut le corrompre en lui achetant une nuit d’amour avec sa femme, ou qu’il refuse l’amour de cette femme qui lui fait peur, à lui qui n’a jamais voulu aimer, liberté oblige, Casanova, que Jean-Marie Galey compose déjà brisé, déjà perdant et perdu, s’enferre dans d’inextricables contradictions.
Que peut-il face à un jeu qu’il ne comprend plus ? Qui est-il devant cette femme enflammée, qui l’aime trop et à qui il craint ne pas pouvoir rendre un tel amour ?
Rigide, hiératique, Hervé Van der Meulen compose un Duc de Parme prêt à tous les désordres pour que règnent les apparences de l’ordre. Passionnée, jouant de la séduction de son accent chantant, Teresa Ovidio Baptista incarne une fougueuse duchesse de Parme.
Tenu à un seul décor d’Antoine Milian, Jean-Luc Thamin doit créer une ambiance plutôt que d’orchestrer une réelle mise en scène. Les corps ne pourront donc pas virevolter comme les âmes, mais ici chacun est au service de cette "aventure imaginaire de Casanova", qui permet de découvrir un texte plus complexe que l’anecdote qu’il raconte.
Ce passage à la scène de "La Conversation de Bolzano" a ainsi le mérite de donner envie d’en savoir plus sur l’œuvre de Sandor Marai. |