Comédie-ballet de Molière et Lully, mise en scène de Denis Podalydès, avec Isabelle Candelier, Manon Combes, Bénédicte Guilbert, Julien Campani, Manuel Le Lièvre, Francis Leplay, Hermann Marchand, Leslie Menu, Nicolas Orlando, Pascal Rénéric, Alexandre Steiger, Thibault Vinçon, Kaori Ito, Artemis Stavridi, Romain Champion, Cécile Granger, Marc Labonnette, Francisco Mañalich et 7 solistes de l'Ensemble Baroque de Limoges.
Les partitions de Molière dans leur version originale inspirent toujours autant les pensionnaires de "sa" maison même extra-muros. Ainsi en est-il de la comédie-ballet "Le bourgeois gentilhomme" qui, après avoir été montée cet hiver par Catherine Hiegel, est également présentée dans une même version en costumes et à grand spectacle par Denis Podalydès.
Les partis pris de mise en scène de ce dernier, qui a opté pour le divertissement débridé, et qui révèlent également une dimension potache assumée - ne fut-il pas l'auteur, en son jeune temps, avec des acolytes du CNSAD, de "André le magnifique", une pochade ruralo-sulpicienne au demeurant septuplement moliérisée en 1998 - appellent immédiatement l'épithète baroque.
Baroque par référence au goût baroque, caractérisant notamment la capacité créative et l'habileté monstrative, et non dans son acception relative à la gestuelle codifiée et à la diction déclamatoire propre à l'interprétation selon le théâtre baroque d'autant qu'en l'occurrence la dimension du surjeu ressortit davantage de la commedia dell'arte et que Denis Podalydès amplifie et dilate les intermèdes en érigeant la musique et la danse de simples ornements au rang d'égales de la comédie.
Ainsi, si la musique et les chants sont très classiquement dispensés par les solistes l'Ensemble Baroque de Limoges, sous la direction de Christophe Coin , la soprano Cécile Granger, les ténors Romain Champion et Francisco Manalich et le baryton Marc Labonnette, Denis Podalydès ajoute des musiques additionnelles aux partitions de Lully, confie les épisodes dansés à Kaori Ito, disciple de Philippe Decouflé, qui propose des trios ou solos chorégraphiques dans un registre qui n'est certes pas celui de l'orchestique du 17ème siècle et les costumes à Christian Lacroix, le grand couturier qui fut étudiant en histoire de l'art et rêvait d'être costumier, qui n'hésite pas à se délier de la chronologie historique.
Ainsi, si la science de Christian Lacroix pour le patchwork de tissus chamarrés et de passementeries fantaisie s'exprime dans l'habit de Monsieur Jourdain est vêtu à la mode Louis XIV, il fait endosser au valet Covielle le costume d'un Arlequin revisité de pompons et les atours fastueux du couple aristocratique, avec la fraise du 16ème descendue au bas de pourpoint et de la robe à panier du 18ème, contrastent avec la sobriété et les tons gris et bruns sourds des costumes du jeune couple d'amoureux qui évoque davantage le costume romantique du 19ème siècle.
Et mention spéciale à Véronique Soulier-Nguyen qui, pour les perruques masculines, les femmes étant "en cheveu", a laissé libre cours à une débordante fantaisie pour l'élaboration de vertigineuses architectures capillaires.
Autant dire que le spectacle est assuré même visuellement et ce dans un décor de Eric Ruf, sociétaire de la Comédie Française et également décorateur-scénographe attitré de Denis Podalydès, qui a conçu une sobre et modeste façade de maison bourgeoise avec son échoppe de drapier au rez-de-chaussée mais son positionnement à mi-scène confine l'espace de jeu déjà réduit par les musiciens placés à cour.
Côté distribution, esprit de corps oblige, Denis Podalydès puise essentiellement, à l'exception de Bénédicte Guilbert, dans le rôle de Dorimène et dont le ton affecté nuit à l'audibilité, Hermann Marchand et Nicolas Orlando, dans les comédiens issus du CNSAD et ce, du plus ancien - Francis Leplay, irrésistible en maître de cérémonie auquel il apporte une couleur sombre - aux plus récemment promus telles Manon Combes, dont le physique généreux colle à l'emploi qu'elle sert bien de la pétulante et joviale Nicole, et Leslie Menu, également danseuse, extrêmement gracieuse et convaincante dans le rôle de Lucile.
Tout en contraste avec l'interprétation maîtrisée de Isabelle Candelier campant une superbe Madame Jourdain, Pascal Rénéric, retrouvant les réflexes de showman comique de ses débuts au sein de la Ligue d’Improvisation Sud Alto-Séquanaise, est un bourgeois atteint d'une vraie folie comique, tout en oeillades, mimiques et vociférations d'enfant gâté, et joue de manière appuyée la naïveté et l'émerveillement du candide découvrant les sciences et les arts et le mirage de l'ascenseur social.
Avec Thibault Vinçon (un Cléonte presque lugubre), Alexandre Steiger (un Covielle aux accents de Francis Perrin), Manuel Le Lièvre (en belliqueux maître d'armes), Nicolas Orlando et Julien Campani (en Dorante presque spartiate), tout ce petit monde est emporté dans le délire allant crescendo d'un manège pour une comédie montée par Denis Podalydès comme la course poursuite d'un vaudeville de Labiche qui s'achève par un maelstrom festif qui ne pâtirait pas d'être resserré d'autant qu'il enchaîne sur la fameuse turquerie de l'intronisation au rang de mamamouchi, elle aussi dilatée et victime de quelques dispensables "vulgarités".
Mais le spectateur ne boudera son plaisir devant ce divertissement royal dispensé sur un rythme trépidant qui se veut aussi régal pour les yeux et les oreilles.