Comédie dramatique de Harold Pinter, mise en scène de Luc Bondy, avec Bruno Ganz, Louis Garrel, Pascal Greggory, Jérôme Kircher, Micha Lescot et Emmanuelle Seigner.

Attendu comme le premier spectacle marquant de l’ère Bondy au Théâtre de l’Odéon, bénéficiant d’une distribution alléchante et d’une traduction nouvelle signée Philipp Djian, "Le retour" d’Harold Pinter mis en scène par Luc Bondy lui-même, décevra ceux qui se font une certaine idée du théâtre du dernier Prix Nobel de littérature anglais.

Ici le spectateur qui connaît bien l’œuvre de l’auteur du "Gardien" ne retrouvera pas les ingrédients "pintériens". Rien de bien mystérieux, rien de cruel ni d’ambigu dans les personnages. Pas non plus de cette pointe d’insolite, de cette nuance d’absurde qui emmène au-delà de la pure réalité.

Que le fils prodigue, professeur de philo échappé de cette famille tenue en laisse par son père, un ancien boucher aux répliques saignantes, revienne dans le piège de cette maison où rien n’a changé depuis son enfance, et surtout pas les rapports familiaux, ne provoque pas l’onde de choc espéré. Et pas davantage le personnage pourtant étonnant et détonnant qu’est sa femme, une mère de famille modèle qui n’attend qu’une étincelle pour s’abandonner à sa frénésie sexuelle.

On a le sentiment que la traduction de Philippe Djian éloigne le texte de ses origines anglaises et le pousse vers un théâtre plutôt américain, quelque part dans le voisinage d’un Sam Shepard. Si on s’en tient à cette hypothèse, on comprend mieux pourquoi cette version du "Retour" paraît plus descriptive, plus comportemental, plus psychologisante et jamais empreinte d’une véritable pincée de folie.

Une fois acceptée cette vision, on saluera les acteurs qui animent tous avec conviction leurs personnages. On prendra ainsi du plaisir à trouver sur la scène l'immense Bruno Ganz, même si, en passant de l'allemand au français, l'interprète subtil de Kleist ou de Wenders perd de sa musicalité et de sa subtilité.

On appréciera aussi le jeu lunaire de Micha Lescot, celui de Pascal Greggory, moumoute en tête et faux airs de Régis Laspalès, et les efforts louables d' Emmanuelle Seigner pour donner une logique à son personnage de bimbo vieillissante.

De cette soirée passée dans cette grande maison foutraque, avec cuisine déglinguée et caravane encastrée, le tour reconstitué avec grand soin par Johannès Schütz, on sortira avec une grande sympathie paradoxale pour cette galerie digne d' "Affreux, sales et méchants".

L'ensemble n'est donc pas désagréable à voir et à entendre si l'on n'est pas un puriste de Pinter et qu'on ne crie pas au crime de lèse-majesté en constatant que son théâtre est devenu prétexte à un divertissement théâtral de qualité, bien joué et bien mis en scène.