Comédie dramatique d'après le roman de Bram Stoker écrite et mise en scène par Grzegorz Jarzyna, avec Jan Englert, Krzysztof Franieczek, Jan Frycz, Marcin Hycnar, Sandra Korzeniak, Lech Lotocki, Wolfgang Michael, Katarzyna Warnke, Adam Woronowicz et Jacek Telenga.
Grzegorz Jarzyna, jeune metteur en scène polonais, directeur du TR Warsawa, présente à Paris dans le cadre du Festival d'automne "Nosferatu", son adaptation du célèbre roman "Dracula" de l'écrivain irlandais Bram Stoker.
Dans sa proposition, le vampire, créature du romantisme noir, emblème de l'expressionnisme allemand, puis icône de la culture pop, dont la figure et la problématique fascine, se nourrit du désir des femmes, le sang symbolisant l'acte sexuel, et n'est pas une résurgence maléfique du passé et du temps des peurs obscures mais un messager de l'avenir.
Et le message qu'il délivre à une humanité narcissique en perdition face à la peur de la vieillesse, à l'angoisse de la mort et à son vide intérieur, et qui rêve d'émotions fortes et d'immortalité, est terrible. L'immortalité est une tragédie, l'autre monde est le néant absolu, un monde désert car Dieu n'existe pas, et seul le vrai amour peut sauver l'homme.
Tous les personnages, archétypes psycho-sociaux, le médecin aliéniste (Jan Englert), le savant mystique (Łech Lotocki), le chasseur de vampires (Jan Frycz), l'amie (Katarzyna Warnke), son mari (Dawid Ogrodnik), les prétendants (Adam Woronowicz et Krzysztof Franieczek) gravitent autour de Lucy, la jeune femme qui aime être courtisée et rêve de conserver éternellement sa beauté (Sandra Korzeniak), qui va séduire le vampire auquel l'acteur allemand Wolfgang Michael apporte une dimension gothisante.
Grzegorz Jarzyna invite le spectateur à un voyage onirique, sensoriel et esthétique dans un temps dilaté à l'extrême, un rythme très lent qui n'est pas sans rappeler celui qui présidait à "La cité du rêve" de Alfred Kubin présenté par son compatriote Krystian Lupa en octobre 2012 au Théâtre de la Ville.
Le paysage émotionnel est posé par la scénographie de Magdalena Maciejewska qui use du baroque et du symbolisme, notamment avec la scène de l'ange déchu sur une vidéo de Bartek Macias, sculpté par les lumières très travaillées de Jacqueline Sobiszewski et largement développé par l'habillage musical hypnotique conçu par John Zorn en forme de strates sonores aux confins du post-rock et qui brasse de nombreux registres du rock industriel à l'ambient, de la noise au dub fusion, brouillant la frontière entre le rêve et la réalité.
D'un esthétisme consommé, le spectacle parfaitement maîtrisé se déroule donc comme un rêve éveillé pour qui en accepte les codes, des codes qui ne sont pas forcément fédérateurs à l'ère du zapping et du rationnalisme matérialiste.
Les comédiens, tous excellents, réalisent une prestation hors normes qui tient essentiellement, compte tenu d'un texte, au demeurant, minimaliste, dispensé mezza voce, et parfois de l'ordre du souffle, rendu perceptible par un équipement hf, à la dramaturgie du corps.
Un très beau travail et une belle découverte avec la première programmation de ce metteur en scène en France. |