Drame d'après le prologue de l'oeuvre éponyme de Shakespeare, mis en scène de Vlad Troitskyi, avec Natalka Bida, Daria Bondareva, Dmytro Iaroshenko, Roman Iasynovskyi, Ruslana Khazipova, Dmytro Kostyumynskyi, Tetyana Vasylenko, Solomiia Melnyk, Volodymyr Minenko, Anna Nikityna, Igor Postolov, Vyshnya Zo et les musiciens musiciens DakhaBrakha, Marko Halanevych, Iryna Kovalenko, Nina Garenetska et Olena Tsybulska.
Comme l'astre du jour, le soleil théâtral du troisième millénaire se lève résolument à l'Est. Après le jeune théâtre polonais avec le "Nosferatu" de Grzegorz Jarzyna présenté dans le cadre du Festival d'Automne, le public parisien peut découvrir le théâtre ukrainien avec deux spectacles conçus et mis en scène par Vlad Troitskyi, figure du renouveau du théâtre ukrainien.
Au Monfort Théâtre, le "Roi Lear" de Shakespeare, tragédie noire qui s'achève dans le chaos absolu, phagocytée par l'ancestrale culture ukrainienne, revisitée par Vlad Troitskyi dans une déclinaison en pantomime masquée, qui porte à son acmé l'art de l'expression corporelle, explose sur scène sur une étonnante et fascinante partition musicale de l'ethno-chaos band DakhaBrakha.
Le Roi Lear, patriarche sensible à la flatterie qui bannit sa seule fille aimante au profit de celles qui n'en veulent qu'à son bien le laissant errer dépossédé de tout, vu par Vlad Troitsky, est, du temps de sa splendeur, une figure de mafieux dealer dominateur qui règne sur un royaume singulier, cour des miracles et campement nomade, dans un monde qui rappelle les temps obscurs de l'humanité mais est également sans doute nourrie des croyances et légendes ukrainiennes séculaires.
L'ordre, la fête et la démesure règne jusqu'au jour du partage qui sonne le glas pour Lear sombrant dans la folie. La proposition dramaturgique est soutenue par la partition musicale composée et exécutée sur scène par le quatuor DakhaBrakha, une partition à la singularité unique ancrée dans la musique folklorique ukrainienne, constituée de mélodies vocales et polyphoniques, brassée avec les rythmes des cinq continents.
Entre les plaintes du violoncelle, les percussions lancinantes, les superbes mélopées féminines et la tessiture singulière de la voix de Marko Halanevych qui peut chanter comme un contre ténor, dans "Specially for you" qui ressortit au rock atmosphérique, l'interprétation des comédiens, munis de masques couleur de terre aux traits floutés conçus par Natalia Marinenko, à la fois scandée, guidée et accompagnée par la musique et les chants, est d'une maîtrise et d'une rigueur absolues.
Ce spectacle exceptionnel à l'esthétique lunaire fascinante, grandement nourrie par les lumières surnaturelles de Mariya Volkova, est une réussite totale : rien n'y est laissé au hasard et tout est porté au niveau de l'exigence.
Vlad Troitskyi entraîne le spectateur dans les dédales de l'univers déroutant, envoûtant et inquiétant des temps archaïques, des temps dont l'homme contemporain est issu, qui s'achève de manière aussi paienne que mystique par l'enfer sur terre au rythme d'une poignante pavane. |