Réalisé par Vimukthi Jayasundara. Inde/France. Drame. 1h30. (Sortie 6 février 2013). Avec Paoli Dam, Sudip Mukherjee, Surneet Thakur et Tômas Lemarquis.

Vimukthi Jayasundara, Caméra d'Or à Cannes en 2005 pour son premier film " La Terre abandonnée", est un de ces cinéastes de l'Asie du Sud qui n'a pas pour ambition de conter et raconter son pays, en l'occurrence le Sri Lanka et plus largement le sous-continent indien, en empruntant les canons cinématographiques occidentaux.

Comme le thaïlandais Apichatpong Weerasethakul, Palme d'Or pour son sensationnel "Oncle Boomnee", Vimukthi Jayasundara cherche une voie cinématographique personnelle, qui tiendrait compte de ses racines bouddhistes et de son héritage culturel "asiatique", dans un art encore profondément marqué par la culture judéo-chrétienne.

On n'entrera pas dans "Chatrak" comme dans un film respectant la linéarité du récit, partant d'une situation A pour aboutir à l'issue d'un mouvement dialectique d'idées ou de péripéties à une situation B qui modifie radicalement la situation A.

Ici, on ne résout pas de problèmes. On va et on revient dans une boucle de temps et de mort dans laquelle Vimuthki Jayasundara s'interroge sur l'irruption de ce monde moderne occidental, rectiligne dans sa trajectoire, dans un univers fondé sur l'immuable et le circulaire.

"Chatrak" signifie "champignon" et fait référence au personnage central du film, un architecte indien qui revient dans son pays pour ériger des gratte-ciels (qui poussent là aussi "comme des champignons"), pour construire quelque chose qui transforme le paysage dans la région de Calcutta et provoque un séisme mental dans l'univers de ses habitants.

En contrepoint, il y a le frère de "l'aimée" de l'architecte, justement victime de cette transformation. Un fou que le couple cherche et qui s'est réfugié dans les arbres d'une forêt encore préservée de la marche mondiale.

Nature contre culture, tradition contre progrès, tel serait le diagnostic schématique occidental, sans voir toute la complexité que met le cinéaste sri-lankais dans ce trio, toute la beauté méditative qu'il déploie dans la description de leurs quêtes respectives.

"Chatrak" est un film qui a une qualité rare : il ne dévoile pas tous ses mystères, toutes ses aspérités symboliques. Comme ses personnages qui cherchent plus qu'ils ne trouvent, "Chatrak" est un film qui se mérite, qui finit par envoûter et qu'on quitte avec le sentiment d'avoir vécu une expérience dont on ignore encore ce qu'elle apportera.

On suppose que cela aura à voir avec une plus meilleure compréhension du monde, une capacité un peu plus grande à l'appréhender avec un regard autre que celui d'un pur occidental.

On aura aussi plaisir à découvrir un cinéaste hors du commun qui pourrait très bien s'inscrire entre Andréi Tarkovski et Apichatpong Weerasethakul, quelque part parmi les grands contemplateurs, ceux qui interrogent le monde avec des images nourries de spiritualité. On attend et on espère beaucoup de Vimukthi Jayasundra.