Ce qu’il y a d’embêtant avec un auteur comme Philippe Besson, c’est que si on ne se précipite pas pour présenter son nouveau roman, c’est fichu, une dizaine de magazines, d’émissions télévisuelles et radiophoniques l’auront fait dès sa première semaine de sortie… Et comme toutes les critiques sont positives, dire à quel point De là, on voit la mer est un livre épatant semble forcément du vu, du revu et encore du déjà lu. Tant pis pour l’effet de nouveauté, d’inattendu ; il reste tout de même le plaisir de parler de ce nouveau roman, paru le 3 janvier dernier, aux éditions Julliard.
"De là, on voit la mer" : c’est un titre presque poétique, c’est une promesse, la vision d’un vaste horizon, donc forcément rempli de possibilités. C’est une titre doux car offrant le rêve, c’est un titre fort car renvoyant à cette étendue d’eau qui peut être violente, voire meurtrière. Et déjà, dans ce titre, c’est toute la perplexité de l’intrigue… Pourtant, si on résume l’histoire en quelques phrases, elle semble bien banale : une femme, romancière, s’exile en Italie pour écrire son nouveau livre. Elle laisse donc son mari à Paris. Et, sous le chaud soleil de Livourne, elle rencontre un homme jeune et beau. Ils deviennent amants ; reste la question du mari et du mariage-à régler. On retrouve donc le fameux thème du triangle amoureux, qui est au cœur de si nombreux romans.
Sauf qu’ici, les personnages ne sont pas communs. Louise n’est pas une femme à culpabiliser, à rester par gentillesse, à faire pénitence. François n’est pas un époux lassé par la vie commune ; son amour l’emmène bien loin des scènes de jalousies et de rancœur habituelles. Et Lucas, même Italien, même jeune, n’est pas un amant aux sentiments fragiles et instables.
Sauf qu’ici, les choses se disent : François crée un événement qui pousse les deux époux à se parler, à affronter leurs vérités. C’est dès l’acte 2, c’est le cœur du roman, ce moment de sincérité.
Sauf qu’ici, les lignes droites se brisent. Une femme qui ne doute jamais, qui impose, croise la route d’un homme qui sait lui donner envie de lâcher prise, d’être dirigée. Un mari trompé accepte la trahison passée et celles à venir, malgré le serment de fidélité prononcé dix ans plus tôt.
Sauf qu’ici, c’est Philippe Besson qui écrit. Il y a donc, malgré la brutalité du drame qui se joue, du plaisir, de la sensualité, qui émanent de ces pages, grâce aux mots choisis, à leur façon de s’enchainer et aux tournures de phrases propres à l’auteur. A l’évidence, on y décèle parfois la main de Marguerite Duras dans les expressions elliptiques, dans la sobriété des phrases. On y retrouve aussi la petite musique saganienne qui invente une ambiance douce, ouatée comme écrin à des événements violents et cruels.
De là, on voit la mer est un roman particulier dans la bibliographie de Philippe Besson. Les couples homosexuels ont laissé leur place à un homme et une femme mariés, sur le point de se séparer. Les personnages ne sont pas aimables d’emblée ; Louise est un être d’un égoïsme rare, François peut énerver par son manque d’orgueil. Et malgré l’apparente banalité de l’intrigue, c’est un roman plutôt complexe que nous présente Philippe Besson : le lecteur devra s’écarter des lignes évidentes pour découvrir l’appel à la liberté et à la réalisation de soi-même qui se cache dans ce nouveau roman. |