Comédie dramatique de Bernard-Marie Koltès, mise en scène de Jean-Pierre Brière, avec Jean-Pierre Brière, Bruno Debrandt et Jean-François Michel.

Un décor puissant, sombre, qui pourrait être un parking souterrain désaffecté dans lequel des sans domiciles auraient trouvé refuge et répit. Un endroit propice à tous les trafics, sale, bruyant, dans lequel déambuleraient des chiens errants, rois secrets des lieux.

Une évocation fantasmée d’une zone irréelle, qui rappellerait celle où s’enfonçait le "Stalker" de Tarkovski. Un monde expressionniste tempéré par des néons qui éclairent les ténèbres de manière aléatoire…

On comprend très vite que Jean-Pierre Brière n’a pas choisi comme nombre de metteurs en scène qui ont monté "Dans la solitude des champs de coton" de se contenter d’une scène vide sur laquelle s’affrontent les mots et les corps des deux protagonistes manichéens de la pièce de Bernard-Marie Koltès.

En principe, un client et un "dealer" se font face dans une transaction incertaine qui passent par des mots choisis qui font mouche comme les coups de poings qui peuvent les accompagner. Sauf que dans cette version, les deux hommes, élégamment habillés, pourraient être interchangeables, pourraient intervertir leurs tirades.

Jean-Pierre Brière n’a pas strictement respecté la dichotomie basique de Koltès. Le blanc ne fait pas face clairement au noir. Dans le climat à la fois onirique et tendu qu’il crée, l’incertitude est plus forte que la solitude. On a presque l’impression que les longs monologues qui se succèdent sont une parade d’amour ou de mort, que les mots vont fusionner dans une explication violemment corporelle.

Mais Jean-Pierre Brière ajoute encore une nouvelle dimension : celle d’un entre-deux sous forme d’un personnage supplémentaire incarné par Jean-François Michel qui, pendant longtemps, paraît n’être qu’un figurant noir, un clochard silencieux qui peuple de sa présence/absence ce no man’s land à l’instar de ces deux énigmatiques bergers allemands qui vont et viennent avec une mystérieuse sérénité sur la scène.

Mais, in fine, il se transforme en danseur qui s’approprie dans une courte et impressionnante prestation la violence symbolique du face à face des deux hommes dans une danse à mi-distance d’Eros et Thanatos.

Avec cette version brillante et rythmée de "Dans la solitude des champs de coton", Jean-Pierre Brière s’est ainsi mis au service d’un auteur qu’on n’a pas fini d’explorer.

C’est peu dire que Jean-Pierre Brière et son partenaire Bruno Debrandt se délectent de la prose incisive de Bernard-Marie Koltès qui atteint peut-être ici la dimension idéale. C’est une écriture contemporaine qui a désormais gagné ses galons classiques que l’on peut entendre grâce à une version dont les partis pris solidement assumés parviennent à éviter tous les contresens et toutes les complaisances.