Réalisé par Vincent Dieutre. France. Autobiographie. 1h40. (2 avril 2013).
Une simple histoire. Une histoire d'amour. Un homme et un homme. Ils se retrouvent dans l'appartement de l'un, Simon, dans le Nord de Paris, au métro Jaurès.
L'autre est cinéaste et s'appelle Vincent Dieutre. Il a fait souvent de sa vie l'objet de ses films. Ici, il parle peut-être de "l'amour de sa vie".
De la fenêtre de l'appartement de Simon, il a filmé ce qui lui faisait face. Trois niveaux : le métro aérien à la station Jaurès, le carrefour Jaurès, et en dessous de la chaussée où s'écoule la circulation automobile, la "Voûte Lafayette" du Canal Saint-Martin où survivaient alors des réfugiés afghans dans un campement de fortune.
C'est sur les images de ce camp, du va-et-vient aléatoire, presque mystérieux, de ces jeunes hommes abandonnés qui doivent enjamber une porte, ultime épreuve pour regagner leur petit réduit, que Vincent Dieutre raconte à Eva Truffaut cette simple histoire, cette histoire simple commencée dans une backroom d'un bar gay glauque. Dieutre parle en voix-off mais apparaît parfois tout comme son amie.
Se télescopent donc cette petite histoire intime avec l'intimité des victimes de la "Grande Histoire". Tout se joue à portée du zoom d'une caméra aussi pudique que les mots employés par le cinéaste.
Vincent Dieutre est aussi un clandestin, un "clandestin de l'amour". Il n'avait pas les clés de l'appartement, dépendait du bon vouloir de Simon qui menait une double-vie. Comme les Afghans à la merci de la police de l'ère Besson, il n'était là qu'à titre provisoire. Sa voix émue, paisible, raconte cette simple histoire qui s'est arrêtée un jour, sans raison particulière, tout comme un jour d'été a disparu le camp des Afghans.
De temps en temps retentissent les notes d'un piano. C'est Simon qui s'essayait à "une petite chanson de Reynaldo Hahn". On n'en perçoit que des gammes nonchalantes, répétitives. Comme on voit quelquefois autre chose que le camp afghan, comme cette colombe blanche - un sacré symbole ! - qui se pose sur le rebord de la fenêtre de l'appartement de Simon. Vincent Dieutre a aussi zoomé sur l'appartement d'en face, de l'autre côté du canal . Là où un jeune artiste en résidence s'appliquait à changer méthodiquement des néons, à remplacer les bleus par des jaunes ou réciproquement...
Petits faits dérisoires ? Pas vraiment. Tout cela constituait l'atmosphère, le quotidien de cette belle histoire que Vincent Dieutre veut reconstituer. Et quelque chose se passe, peut-être aussi grâce à la bienveillance amicale d'Éva Truffaut qui interroge avec délicatesse le cinéaste.
Vincent Dieutre constate qu'à l'issue de cette histoire "le monde a changé"», certes de pas grand-chose mais quand même que "tout a un petit peu bougé". C'est aussi qu'il y avait de l'amour et aussi de la compassion pour les hommes qui survivaient sous la voûte Lafayette.
Vincent Dieutre fait un beau portrait de son compagnon, à la fois militant engagé et chrétien. Dans cette période où l'intolérance semble progresser, il faut l'écouter.
Avec "Jaurès", son cinéma autobiographique prend une autre dimension. Moins intellectuel, plus concerné, il donne à voir un cinéma du "je" épuré, d'une belle et inoubliable fragilité. |