Réalisé par Kim Ki-Duk. Corée du Sud. Drame. 1h44. (Sortie 10 avril 2013). Avec Cho Min-soo, Lee Jung-jin et Woo Ki-hong
Solitaire tout habillé de noir, Kang-do a l’âme noire. Dans le froid glacial d’un hiver triste, il rôde dans les ruelles sordides de Séoul. Justicier injuste, il recouvre les créances impayées des artisans pauvres qui n’arrivent plus à survivre.
Son métier sale, il le fait salement, écrasant avec une jouissance pleine d’application des doigts sous une presse ou sous une meule. Aucune pitié, aucun remords.
Kim Ki-duk crée d’emblée une ambiance oppressante, décrit un monde sans avenir où la souffrance est toujours au bout de chaque plan. Rien ne semble pouvoir éclairer cette plongée dans le quartier de Cheonggyecheon promis à la destruction.
Là où jadis fleurissait l’artisanat métallurgique de la Corée du Sud en plein miracle économique, vivotent de fantomatiques ajusteurs en voie de disparition dans de petits ateliers crasseux, encombrés de machines inutiles, de stocks de pièces invendues. L’ange de la mort qu’est Kang-do survient pour hâter leur agonie et le sang gicle à gros bouillons.
Mais Kim Ki-duk n’est pas un cinéaste gore. Son loup aux babines sanglantes qui se nourrit d’anguilles dans son repaire, il ne va pas le laisser poursuivre sa tache gratuitement ad libitum. Tous les méchants ont besoin d’une maman et quand elle survient inopinément, cette vierge de pitié, ils ne peuvent qu’être touchés par sa grâce improbable.
Homme à tout faire de son film dont il signe aussi le scénario et le montage, Kim Ki-duk a tissé une toile diabolique dans laquelle s’engluent ses personnages. Le face-à-face du criminel orphelin et de la mère vengeresse, incarnée par l’extraordinaire Cho Min-soo, est d’une force rare et atteint une dimension aussi chorégraphique que métaphysique.
On restera suffoqué par les strates successives qui poussent vers une fin subtilement grandiloquente. Le mal, le bien, tout se mélange dans un rituel mortel qui ignore le moindre manichéisme.
Comme tous les grands films, "Pieta" de Kim Ki-duk laisse pantois par ses audaces, ses ruptures de ton, son exigence. Il peut se suivre comme un simple thriller ou se vivre comme une œuvre vraiment moderne à la fois baroque et classique.
Quoi qu’il en soit, "Pieta" a bien mérité son Lion d’Or au Festival de Venise en 2012.
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