Bernard Lenoir, Michelle Soulier et puis José Arthur ensuite, avec la coupure info de 22h. Et ce slogan aussi, plus qu'un slogan d'ailleurs, c'était une évidence : "Le rock, le soir, c'est Lenoir".
Des jours, des semaines, des mois et même sans aucun doute presque des années à ne manquer aucune emission de Lenoir, scotché à ma radio, casque sur les oreilles ou volume au plus bas pour ne pas déranger la maisonée plantée devant le programme TV dans le salon. Une cassette en place, prête à enregistrer les dernières découvertes de celui par qui la musique pas comme les autres est arrivée dans un paquet de chaumières de France à une époque où le mot internet n'était probablement pas encore dans le dictionnaire et les concerts se passaient essentiellement dans les grandes métropoles bien loin de chez moi et les festivals étaient inaccessibles à la fois à ma bourse et aux moyens de transports à ma disposition.
Bref, Lenoir était une sorte de dieu vivant. Celui qui nous apportait la vérité sur une musique qui à l'époque était juste difficile à se procurer et ne s'écoutait pas seulement pour se donner un genre. Pitckfork n'existait pas, rendez-vous compte ! Tous les soirs, on allait de découverte en découverte. On espérait réécouter un titre des jours précédents que l'on avait aimés et qu'on aurait voulu ajouter sur notre cassette, et en connaître le titre aussi, sinon comment faire pour le retrouver ? 20 secondes d'inattention et tu n'avais plus qu'à espérer qu'un autre auditeur parmi tes amis ait pu saisir au moins le nom du groupe. Des années d'écoute, des dizaines, centaines même de groupes découverts, aimés et détestés. De quoi se forger quelques bases pour le restant de nos jours.
Et puis il y avait les Black sessions. Ovni musical à l'époque où on ne connaissait John Peel qu'au travers de quelques éditions sur CDs de ses fameuses sessions. Les sessions, il n'était pas question d'en manquer une. Cassette vierge dans le magnéto et aussitôt les titres du journal terminé, on appuyait sur record. Que de souvenir ces sessions, j'ai encore de nombreuses cassettes à la maison. Je me demande dans quel état elles sont...
On a découvert lors de ces lives en direct de la maison de la radio de jeunes groupes dont c'était la première venue en France comme Radiohead, des gens plus confirmes à l'époque comme Lloyd Cole ou Stuart Moxham, des superstars en devenir comme les Cranberries mais aussi des claques et des chocs musicaux impérissables comme les fabuleux Galiano. Et puis Yann Tiersen, Dominique A, Little Rabbits, The Mabuses, Pelé, Ian McCulloch les plus grands comme les plus inaperçus....
C'était à chaque fois des moments de toute façon formidables. On absorbait toute cette musique comme des éponges. Avec le recul, c'était une chance que Lenoir soit aussi ouvert et éclectique dans ses sélections. On aimait souvent, on adorait parfois et on détestait rarement.
Aujourd'hui, Bernard Lenoir est plus discret. Personne n'est plus scotché à sa radio mais surfe sur les réseaux sociaux et ingurgite la musique sans avoir le temps de la digérer. Autre temps, autres moeurs. Peu importe. C'est une autre façon d'écouter la musique.
En attendant, Lenoir nous propose cette compilation de 38 madeleines de Proust. Une compilation que l'on aurait tous pu faire. Que l'on a déjà d'ailleurs tous fait 10 ou 100 fois dans un ordre ou un autre partiellement ou allongée d'autres morceaux. Une compilation qui a le mérite de retracer tout un pan de l'histoire du rock et de la radio française à la fois. Une compilation qui sera aussi une belle carte de visite pour qui voudrait rattraper son retard sur l'histoire des quelques 30 dernières années d'une musique pas comme les autres. Inutile de s'étaler sur les 38 morceaux présents. Radiohead, Joy Division côtoient Murat et Mazzy Star, The Cure et Ride, Suede, The Bats et The Field Mice.
A écouter sans modération mais non sans une certaine émotion et une envie de se remettre aux compilations pour y ajouter tout ce que l'on aurait aimer trouver en plus sur celle-ci. Du coup, on en espérerait presque un volume 2. Et pour paraphraser une dernière fois Lenoir : "Caresses et bises à l'oeil et d'ici là, restons groupés". |