Dans le monde coloré de Jacques Demy, il y a d’abord du rose, du bleu, du jaune… Et puis, pour que la palette soit complète, s’y ajoutent toutes les couleurs de la vie, toutes celles de l’imagination et de la joie de filmer.
Les couleurs, ici, ne se contentent pas de resplendir dans un vrai enchantement pictural. En deux mesures et trois plans, elles se mettent à chanter, souvent grâce à la complicité de Michel Legrand.
La réussite de l’exposition de la Cinémathèque Française, conçue par Matthieu Orléan avec la collaboration artistique de Rosalie Varda Demy et scénographiée par Nicolas Groult et Sylvain Roca, est d’avoir su restituer le charme et le chatoiement des films du petit "Jacquot de Nantes".
Univers fluide, limpide, cristallin, l’œuvre de Jacques Demy paraît avancer comme un petit train joyeux, têtu, qui a choisi la vapeur plutôt que la grande vitesse.
On suivra donc avec empathie le parcours de ce jeune Nantais, fils de garagiste devenu l’un des réalisateurs français les plus marquants des "Trente glorieuses".
À refaire la route à l’envers, on est d’emblée surpris par la cohérence tranquille d’une filmographie qui démarre avec "Le Sabotier du Val de Loire" pour s’achever avec "Trois places pour le 26".
Prenant acte de tout ce qu’il a connu, les hauts merveilleux comme les échecs aussi cuisants qu’injustes, Jacques Demy n’a jamais renoncé, a toujours donné le meilleur et servi avec douceur le septième art.
Dans une belle interview, où il raconte leurs rencontres pendant la préparation de "Model Shop", Harrison Ford affirme que Demy est "un véritable artiste".
L’exposition ne cesse de le confirmer et ce n’est pas un hasard si on pourra y découvrir des œuvres de Gilbert et George, David Hockney ou Leonor Fini, en correspondance avec le travail de Demy.
Riche en éléments tirés des films, avec évidemment la peau et les robes de "Peau d’âne", ainsi que la reconstitution émouvante de la "petite cinémathèque de Jacques Demy et Agnès Varda", "Le monde enchanté de Jacques Demy" réussira à charmer même ceux qui en savent déjà long sur le cinéaste.
Ils découvriront, par exemple, qu’à la fin de sa vie, il s’était mis sérieusement à peindre, et qu’il l’avait fait avec une envie mêlée d’humilité qui force le respect.
"Dans le doute de ses propres aspirations, il avait choisi autre chose que le cinéma, qui ne le rendait plus heureux" explique Agnès Varda.
Qu’un tel créateur ait douté au final de son art étonnera mais n’attristera pas : car on ne pourra qu’admirer cette force morale et cette énergie créatrice qu’il aura toujours déployées pour aller de l’avant.
"Le monde enchanté de Jacques Demy" est une introduction réussie à une œuvre qui a gardé toute sa fraîcheur et toute sa poésie.
Reste alors à aller voir et revoir des films qui, eux, n’ont pas fini de rendre heureux. |