En 2002, la France est secouée : l'extrême droite remporte 17% des suffrages au premier tour de l'élection présidentielle. Un seuil est franchi. Pour beaucoup, cet événement est un signal qui appelle la nécessité de l'action. Une partie de l'opinion est en train de dériver vers des rivages dangereux : comment endiguer ce phénomène ? A l'époque, Michel Onfray enseigne la philosophie aux classes terminales du lycée technique privé catholique Sainte-Ursule de Caen ; il réagit en donnant sa démission pour créer l'Université populaire de Caen, suivie en 2006 par l'Université populaire du goût à Argentan, double projet un peu fou qui n'a pas tardé à remporter un incroyable succès.
Son ambition : répondre au voeu de Condorcet de développer "une instruction qui rende la raison populaire". Tout au long de son opuscule, Michel Onfray définit son Université Populaire en creux, en commençant par tracer les contours de tout ce qu'elle n'est pas, ce qui lui donne l'occasion d'exercer sa verve.
Déjà, l'Université Populaire n'est pas l'université de Victor Cousin (ministre d'Alodphe Thiers, le "boucher de la Commune"), formatée, dogmatique et moraliste. L'Université française préfère l'histoire de la philosophie à la pratique de la philosophie. Michel Onfay dénonce les "rites initiatiques des examens au cours desquels on mesure plus le degré de servilité de l'impétrant que son intelligence véritable", et en profite pour pourfendre quelques mandarins grâce auxquels Victor Cousin peut dormir sur ses deux oreilles.
Si l'Université populaire de Caen admet une parenté avec les Universités Populaires crées par Geogres Deherme pour instruire la classe ouvrière, elle n'en est ni la copie ni la déclinaison. Elle n'est certainement pas non plus les "cafés philo", mode lancée en France par Marc Sautet au début des années 1990 (épinglés comme le lieu d'un bavardage collectif souvent bébête). Ni la démarche infantilisatrice de La Philosophie expliquée à ma fille, merchandisation d'une pensée discount qui descend la philosophie jusqu'au consommateur.
A l'opposé, l'Université Populaire se veut libertaire et libératrice, un dispositif centrifuge, décentralisé, qui a le souci du concret et ne rejette rien ni personne dans ses marges.
Michel Onfray tient à son ancrage en Normandie, bien loin du dispositif jacobin centralisé. Il y enseigne une "contre-histoire de la philosophie", attentive à ce qui est laissé en marge de l'historiographie philosophique officielle, qu'il s'agisse de courants de pensée entiers (les présocratiques, les libertins du XVIIème siècle), d'auteurs, ou même de certains aspects de la pensée d'auteurs très étudiés ; ainsi, on s'arrête souvent au pessimisme de Schopenhauer sans mentionner qu'il est aussi l'auteur d'un Art d'être heureux.
L'Université Populaire n'est pas un espace de convivialité (ce que peut être l'AUPF), mais une communauté d'amis comme le Jardin d'Epicure. Michel Onfray oppose en cela Epicure à Platon, élitiste délivrant un enseignement ésotérique, là où l'Université Populaire revendique "une pédagogie claire à destination du plus grand nombre". En fin finale, il s'agit de faire la révoluton sans prendre le pouvoir, but que se proposait déjà Epicure – une révolution au sein de chaque intelligence.
Le petit livre de Michel Onfray est un outil intéressant pour comprendre sa démarche, aussi bien que la place de ce philosophe atypique dans le paysage intellectuel contemporain. On peut toutefois être lassé, au fil des pages, par le style très à charge, et trouver l'auteur plus intéressant lorsqu'il défend une idée que lorsqu'il dresse un réquisitoire. |