En une de Libération ces derniers jours : "Notre monde n'est pas digne de la poésie" : tel est le propos de Michel Houellebecq pour la sortie de son dernier livre, plus célinien dans sa posture que jamais, l'écrivain adulé des médias promène son lourd prosaïsme d'interview en interview. "Over and over".
Hasard du calendrier, le troubadour inspiré qu'est l'éternel Jean-Louis Murat sort son album de saison : Toboggan. Pied de nez !
Bien sûr, d'aucuns peuvent arguer que Jean-Louis Murat sort tout le temps le même disque : l'âme blessée, la mélancolique romantique d'une campagne enchantée désolée que personne ne sait regarder, les souvenirs attendris d'un monde de peu qui ne faisait pas toute une histoire des plaisirs de la vie, les jeux de l'enfance, le goût des confitures de grand-mère, les odeurs de lait pendant la traite, l'émoi des bals du village. Jean-Louis Murat parle de la pluie et du beau temps, des faits divers (d'hiver) des animaux sauvages, saupoudrant de magie et de malice. Le coeur reste jeune au décompte des ans, le désir garde son empire.
Toboggan aurait pu sortir il y a dix ans, pourrait sortir dans dix ans. Quelles traces d'aujourd'hui le rendraient moisi dans six mois ? Aux accents de vieux français, comme dans le titre "Amour n'est pas querelle" avec l'abandon des articles, le chat noir au rire méphistophélique, les rires d'enfants et les cris d'animaux nous conduisent dans l'univers des contes, des fables de jadis. Toboggan est encore un drôle de titre : serait-ce d'un poète (au soir de sa vie ?) qui raviverait son enfance ? Il y a bien du tombeau là-dessous. Assagi Jean-Louis ? Guère au final. Lumineux au contraire : chamanique.
Que le Spectacle ne reconnaisse pas la valeur, l'éclat de Jean-Louis Murat, c'est justice, comment ne provoquerait-il pas son hostilité sourde ? Qu'il continue, hors champ, à s'épuiser les nerfs à chanter l'amour et qu'il aimante quelques particules élémentaires rêveuses et transportées. Est-ce que cela n'est pas suffisant après tout. Avis aux muratiens ! Qu'on se souvienne : "herbe têtue, rouge calèche, toboggan rentré / le temps est long qui nous ramène les filles avec l'été..." du côté du Sans Souci.
Sous un ciel de plomb, c'est bien rare que ne pointe bientôt l'éclaircie. |