Rien de nouveau sous le soleil noir de l'anti-héros bukowskien Bruno Fante, avec "En crachant du haut des buildings", nouvel épisode des aventures du double autofictionnel de Dan Fante.
La trentaine passée, il quitte sa Californie natale pour goûter à la liberté et à l'anonymat d'une mégapole. Mais comme le dit Dan Fante "New York is the best place in the world to be lost and stay lost".
New York n'est pas une ardoise magique qui efface tout pour recommencer une nouvelle vie. Et Bruno Fante y traîne ses "valises".
Celles d'un alcoolique patenté persuadé de sa vocation littéraire, une vocation qui tarde à éclore sous l'ombre tutélaire du père, l'écrivain John Fante, à laquelle s'ajoutent le défaut d'inspiration et une certaine lucidité quant à la médiocrité du résultat de ses rares tentatives, et d'un homme happé par la spirale de l'autrodestruction.
Une spirale inféodée à l'alcool qui lui a servi de médicament contre une maladie profonde de l'âme, mais qui a pris l'ascendant et lui grignote les neurones.
"Tant que j'étais seulement bourré, j'arrivais à garder la tête hors de l'eau, mais je trouvais toujours des raisons de me défoncer davantage. Et de perdre les pédales pour tout oublier".
Mais oublier quoi ? Le passé sans doute au sein d'une famille inféodée à un pater familias névropathe, colérique et alcoolique (cf. "Dommages collatéraux"). Egalement le dégoût de lui-même qui l'entraîne sur la voie de la dépression, de la bestialité ("mon désir insatiable de sexe et de dépravation") et nourrit des pulsions suicidaires.
Même s'il manifeste une volonté "pieuse" d'en sortir, il est toujours rattrapé par ses pulsions qui lui inspirent une stratégie d'échec à double détente.
D'une part, en sabotant toute entreprise thérapeutique par crainte anticipative de ce que pourrait être la vie et la réalité de son éventuel talent d'écrivain ("Pour me donner le courage d'assister à toutes les séances sans devenir raide dingue pour autant, je m'étais remis à picoler à plein temps...").
Et d'autre part, en se sabordant lui-même. Sans fortune, il doit bien se résoudre à travailler. Mais pas en continu, car il ne mange pas de ce pain-là, mais des petits boulots, ces "bad jobs" d'interim forcément ni motivants ni valorisants, délibérément choisis pour ne pas s'impliquer dans le schéma laborieux du "boulot régulier" dans un état d'esprit identique à celui décrit dans "Travaux forcés" par son contemporain et homologue Mark Safranko.
Juste le temps d'amasser un petit pécule qui lui permettra de s'adonner à ce qu'il qualifie de goût pour la liberté et qui s'avère surtout fainéantise (contrairement à ce qui pourrait paraître ce n'est ni un asocial ni un cynique qui s'astreint aux petits boulots purement alimentaires pour survivre ou pour faire la nique à la société), propension à l'oisiveté - boire, lire, fumer, en attendant le "fiat lux" littéraire - et refus de toute autorité et qui se traduit par une énième descente en enfers.
Et même quand il trouve un emploi pas trop fatigant, son mauvais génie éthylique le pousse à ne pas respecter les quelques consignes imposées ce qui conduit inévitablement à être viré.
Mais Bruno-Dan Fante sait bien nous embobiner avec son air de petit garçon perdu. |