La Fondation Cartier pour l’art contemporain présente neuf oeuvres du sculpteur australien Ron Mueck considéré comme un des acteurs du renouvellement de la sculpture figurative contemporaine qui s'inscrit dans le mouvement du post-hyperréalisme.
Conçue sous le commissariat conjoint de Hervé Chandès et Grazia Quaroni, respectivement directeur général et commissaire d'exposition à la Fondation Cartier, elle constitue une exposition-événement qui tient à la rareté des expositions de cet artiste et à la primeur octroyée au public français de découvrir ses trois dernières oeuvres en date.
Ron Mueck, l'inquiétante étrangeté de la banalité
Géants ou lilliputiens,
les créatures de Ron Mueck induisent la même fascination déconcertante mêlée de curiosité
que toute représentation anthropomorphe telles les marionnettes, les poupées, les robots androïdes ou les figures de cire.
Ces reproductions en silicone d'un réalisme exacerbé de la figure humaine figées à jamais dans une posture et une expression qui peuvent être perçues comme équivoques malgré leur banalité apparente, encore plus énigmatiques que les personnages hopperiens car détachées de tout contexte situationnel, sont d'autant plus interactives, suscitant de véritables défis d'interprétation, d'autant que l'artiste n'est guère prolixe de commentaires.
Ron Mueck s'inscrit dans la filiation de l'approche figurative née dans les années 70 aux Etats Unis avec le mouvement de l'hyperréalisme tout en s'en démarquant tant en la forme que dans la finalité.
Il se démarque, d'une part, de la technique originelle des sculpteurs hyperréalistes de la première génération, tels Duane Hanson et George Segal, en n'utilisant pas leur technique de "lifecasting", le moulage sur modèles vivants pour des reproductions à l'échelle réelle et ne s'inscrivant pas dans leur approche critique des dérives de la société postmoderne.
Réalisées à partir de sculptures en terre classiques, les créatures de Ron Mueck ne sont pas des ébauches mais des oeuvres abouties élaborées avec le même souci de réalisme et de quête maniaque du détail réaliste.
Sur ce point, il ne faut surtout pas rater, au détour de la première salle du sous-sol, le film documentaire de Gautier Deblonde, "Still Life : Ron Mueck at work" tourné au cours des deux dernières années dans le modeste atelier londonien où l'artiste travaille sur les trois oeuvres exposées pour la première fois à la Fondation Cartier.
Ce film lève le voile sur le long et laborieux processus créatif à partir d'une sculpture à échelle réduite en argile, sculpture à part entière, qui servira de modèle pour l'oeuvre définitive qui résulte d'un véritable de titan réalisé par l'artiste lui-même avec ses deux assistantes.
D'autre part, il ne travaille jamais à la dimension réelle ce qui l'éloigne tant du naturalisme académique que du pop art et pose le principe de non-réalité qui peut constituer une clé d'interprétation.
Par ailleurs, il se distingue de ses contemporains du courant post-hyperréalisme car ses sculptures ne suscitent pas la gêne, au contraire des nus de John De Andrea, ni le malaise comme les personnages transgressifs de Charles Ray ou les figurines des frères Chapman, et il ne verse pas dans la provocation comme Maurizio Cattelan.
Les personnages de Ron Mueck font référence à des postures ordinaires, un couple âgé à la plage ("Couple under an umbrella"), une femme faisant les courses ("Woman with shopping").
Mais parfois cette banalité est traitée de manière insolite : la physionomie et l'attitude inquiètes de l'homme nu assis immobile dans une barque sans rame ("Man in a boat") n'est pas naturelle de même que la station à la verticale du baigneur aux bras écartés sur un matelas de piscine ("Drift").
Par quelle porte entrer pour tisser une trame narrative,? La similitude des traits entre la femme aux courses, la jeune fille du couple "Young couple" et le couple âgé, celle de l'homme de la barque et de la piscine avec l'autoportrait de l'artiste ("Mask II"), l'approche émotionnelle par la dramaturgie du corps ou l'histoire de l'art ?
Par exemple "Drift" avec son baigneur crucifié, le jeune homme noir blessé au flanc ("Youth) et l'art de dévotion ou simplement parodie et illustration d'un phénomène de société ? Le poulet mort plumé et suspendu (Still Life"), simple nature morte ou allusion à la grippe aviaire ?
Alors s'agit-il d'un art illusionniste, d'un art du simulacre, d'un art de genre dépourvu de sens narratif à la manière de certains maitres anciens ? A chacun sa méthode, forcément projective, pour combler sa quête de sens.
En tout état de cause un art singulier qui a déjà fait des émules ainsi avec son compatriote et cadet d'une petite vingtaine d'années Sam Jinks dont les oeuvres ("Woman and child", "The Hanging Man", "Baby") révèlent de surcroît des similitudes thématiques.
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