Comédie à sketches écrite par Bilco, Anne-Elisabeth Blateau, Guillaume Clérice, Julien Ratel et Sarah Suco, mise en scène par Pierre Palmade, avec la Troupe à Palmade.
Après le succès de "L’Atelier de Pierre Palmade" les saisons précédentes (à la Gaité Montparnasse), Pierre Palmade reprend sa petite troupe de comédiens et investit le Théâtre Tristan Bernard avec cette pièce à sketches sur le monde de l’entreprise.
Le thème se prête bien par la multiplicité de situations et de lieux (les bureaux, la cantine, la salle de pause…) à une suite de scènes courtes mais à la différence de "L’Atelier", "L’Entreprise" n’est plus une succession de sketchs mais développe sa thématique et fait évoluer ses personnages qui prennent du coup plus de densité et se révèlent au fil des séquences.
On y retrouve l’efficacité de Pierre Palmade à la mise en scène pour rendre les scènes percutantes ainsi que pour rythmer les quelques (très rares) longueurs qu’une écriture collective peut générer. Le résultat est surprenant, drôle bien-sûr mais pas uniquement…
Tout commence dans les rires, comme ces petites séquences hilarantes à la "caméra-café" dans une cabine d’ascenseur (à ce sujet, bravo à Juliette Azzopardi à la scénographie qui, une nouvelle fois, fait des merveilles avec peu de choses) mais très vite, le ton devient acerbe.
On retrouve un sketch issu de "L’Atelier" (L’entretien d’embauche et la vengeance d’un ancien élève bouc émissaire à cause de son poids) et la comédie prend alors un ton grinçant et met le doigt sur des sujets sensibles : le harcèlement, la misogynie et la bêtise du groupe qui, sous des allures de "grande famille" mettant en avant les notions de camaraderie, ne supporte au fond aucune différence, de quelque ordre soit-elle. La fin, audacieuse est à ce titre extrêmement éloquente.
Ce sont les comédiens bien-sûr qui sont à l’honneur ici, comme dans le spectacle précédent. Tous ont fait leurs preuves sur les scènes parisiennes et sont à l’aise dans ce beau travail de groupe. Ils sont tellement nombreux (14 sur scène chaque soir) que la distribution change à chaque représentation pour le plus grand plaisir du spectateur.
Ce soir-là à Chauffinor, c’était Marie Lanchas qui incarnait Brigitte de l’accueil, peut-être le seul personnage d’une franchise et d’une sincérité inaltérables. Et comment ne pas être enthousiasmé par cette comédienne absolument sensationnelle d’un bout à l’autre, juste sans forcer le trait, drôle, émouvante. Qu’est-ce que ça fait du bien !
A ses côtés, Noémie de Lattre était Catherine (une "working girl" pas aussi coincée qu’elle n’en a l’air) dont le rôle devient vraiment intéressant dans la seconde partie. Elle démontre une énergie piquante. C’était Nicolas Lumbreras (déjà excellent dans "Le Tour du monde en 80 jours" et "Zadig") qui était Patrick, le directeur général, odieux derrière une attitude prétendument moderne et près de son équipe. Avec beaucoup de talent, le comédien parvient à être tout à fait détestable.
Julien Ratel campait avec beaucoup de subtilité Rémy des ressources humaines, qui organise une formation contre le stress pour trouver l’auteur d’un poème anonyme qu’il soupçonne de vouloir se suicider. Guillaume Clérice et Bilco étaient deux cadres plus vrais que nature. Loïc Blanco jouait Andy, le britannique de façon très convaincante, tout comme Johann Dionnet (Hervé), Marc Lamigeon (Luc) et Rémi Deval (Stéphane). Et Rudy Milstein, un étudiant amusé de ce microcosme. Yann Papin à la présence évidente donnait à Jodard de l’entretien une force accroissant la tension dramatique.
Enfin, Anne-Elisabeth Blateau et Valentine Revel composaient un duo attachant. La première, à l’abattage monstre (déjà dans "L’Atelier" on pouvait voir en elle une future Muriel Robin), démontre une nouvelle fois ses qualités et sa finesse de jeu. Elle s’amuse et la public également. Quant à la seconde, loin des personnages qu’elle incarne habituellement (dans des comédies parodiques le plus souvent) elle fait une composition vraiment très intéressante de comptable complexée qu’elle tient de bout en bout avec un très grand talent.
Mais tous sont au diapason et font de cette comédie cruelle dont la force est le collectif une grande réussite qui devrait lui assurer un succès durable et mérité. A tel point qu’on a déjà envie d’y retourner pour voir une nouvelle distribution… |