Les Editions 13E Note, spécialisées dans la littérature sous haute tension, notamment nord-américaine, dispensée par des auteurs "extrêmes", proposent avec sagacité de découvrir Gerald Locklin à travers un florilège d'une oeuvre prolixe présentée sous le titre "Le dernier des damnés".
Né en 1941, le bonhomme, figure reconnue de la scène littéraire californienne, écrivain, essayiste et poète à la plume prolixe pour qui son Dieu en littérature a pour nom Hemingway, fait ainsi figure de dernier des Mohicans par référence à la Beat Generation et plus largement à la littérature underground.
Et pourtant, il s'en démarque quasiment sur tous les plans tant dans son parcours professionnel, social que littéraire car il n'a rien du paria sociétal ni de l'écrivain maudit.
En effet, ni asocial, ni marginal, il a mené une vie professionnelle plutôt conventionnelle, en étant professeur de littérature pendant cinq décennies. Et s'il a bu beaucoup et pendant longtemps avant de passer au régime sec, il ne se droguait pas et n'a pas été aspiré dans la spirale ni des "dirty jobs" ni dans celle de la dépression qui sévissaient parmi les écrivains de la génération des années 40-50 tels notamment Dan Fante ou Mark Safranko.
Quant à son style littéraire, tel que ce recueil en rend compte dans la traduction de Alexandre Thiltgès, il ne s'inscrit ni dans le registre du trash underground ni dans le profératoire "yet-in-your-face". Gerald Locklin pratique une écriture policée presque classique qu'il met au service de la narration de ce qu'il nomme "les réalités quotidiennes biologiques de l'expérience humaine" et qui illustrent, toujours dixit l'auteur, "la transmutation alchimique de la vie en oeuvre d'art".
Qu'elles soient fictionnelles, à travers de courtes nouvelles qui ressortissent à la parabole, ses "petites histoires à concept" constituant le premier chapitre intitulé "Histoires de Californie du Sud" ou, dans le second, autofictionnelles avec "Les aventures de Jimmy Abbeyson", son alter ego littéraire, qui livrent autant de tranches iconographiques de la vie de la middle class américaine, ses oeuvres sont traversées d'un humour d'autant plus redoutable qu'il épingle la banalité, voire la normalité, dans ce qu'elle a de médiocre et de grotesque et dressent ainsi une excellente satire sociale.
Egalement mémorialiste, dans "Bukowski : à tous les coups on gagne", il livre quelques pages éclairantes sur l'écrivain cantonné à publier dans la presse underground.
Gerald Locklin a beaucoup écrit sur l'oeuvre de Charles Bukowski, dont il loue le génie toutefois sans idolâtrerie, avec qui il a partagé outre l'addiction éthylique, et bien qu'il fut son cadet de vingt ans, une amitié sincère et une admiration réciproque forgée sur leur passion commune du mot écrit et de la liberté de pensée. "On était ce qu'on appelle des mecs de la vieille école".
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