Comédies dramatiques de Rainer Werner Fassbinder, mise en scène de Gwenaël Morin, avec Renaud Béchet, Mélanie Bourgeois, Virginie Colemyn, Kathleen Dol, Julian Eggerickx, Pierre Germain, François Gorrissen, Barbara Jung, Ulysse Pujo, Natalie Royer et Brahim Tekfa.
En revenir à Fassbinder est par essence une bonne idée, le faire en proposant quatre pièces qu'on peut voir dans la foulée ne peut pas non plus en être une mauvaise.
Pour monter "Anarchie en Bavière", "Liberté à Brême", "Gouttes dans l’océan" et "Le village en flammes", Gwenaël Morin a repris le terme d’ "Antiteatre" qu’employait Rainer Werner Fassbinder au début de sa période théâtrale.
Il s’agissait, à une époque où bruissaient les révoltes culturelles et générationnelles, de s’émanciper d’un théâtre conformiste, ronronnant, totalement éloigné des préoccupations sociales et des aspirations de la jeunesse et bien sûr "apolitique".
On sentira, notamment dans le diptyque "Anarchie en Bavière/Liberté à Brême", le cri provocateur que poussait Rainer Werner Fassbinder. Évidemment, on comprendra que, pour Gwenaël Morin, "Antiteatre" est à prendre au sens de référence plutôt que comme pratique.
Car son théâtre ne vise ni à choquer ni à agiter. C’est un Fassbinder dépolitisé, dégoupillé, dégraissé de toute référence révolutionnaire qu’il défend et qu’il tire avant tout vers la satire.
Pour cela, il a choisi un dispositif simple et efficace : armée d’un tambour sur lequel elle tape à chaque changement de scène, une actrice lit les indications scéniques, les didascalies proposées dans ces pièces par Fassbinder, et les acteurs se plient dans la foulée à ces indications.
Cela fonctionne à merveille pour "Liberté à Brême", pièce féministe racontant comment, en 1814, une femme voulant s’émanciper n’a pu le faire qu’en empoisonnant à tire larigot son entourage. Cela fonctionne aussi pour "Anarchie en Bavière", même si la critique acerbe de la bourgeoisie catholique bavaroise ne retient pas vraiment l’attention de Gwenaël Morin.
On sera moins convaincu par le même travail sur la pièce intitulée "Le village en flammes". Là, Gwenaël Morin a légèrement modifié son dispositif : les acteurs sont assis alignés sur la scène.
Ils se lèvent au gré des indications de la lectrice, pouvant ainsi incarner plusieurs personnages au gré des interventions de la lectrice. Ils ne jouent pas les scènes mais se lèvent de leurs sièges pour en interpréter le texte.
Inspiré d’un texte de Lope de Vega, "Le village en flammes", dénonçant le régime absolutiste espagnol, était, sous la plume de Fassbinder, devenu une critique féroce de l’impérialisme américain en plein Vietnam et plus généralement de l’oppression des pays pauvres par les pays capitalistes.
Pour Gwenaël Morin, il s’agit avant tout d’une farce, où rien ne doit être pris au sérieux, et qui fait fi de l’idéalisme révolutionnaire fassbindérien qui cohabitait pourtant avec son sens de la dérision et de l’autodérision. Rainer avait suffisamment d’humour pour que ne lui ajoute pas, par exemple, un "entracte" potache où les acteurs se mettent à chanter en anglais version "Star Academy".
Reste "Gouttes d’eau dans l’océan", pièce de jeunesse que l’auteur des "Larmes amères de Petra Van Kant" ne trouvait pas assez abouti pour qu’il la monte et qu’on connaît surtout grâce au film de François Ozon, "Gouttes de pluie sur pierres brûlantes".
Ceux qui se souviennent de l’œuvre d’Ozon seront gênés par cette version plus sage, moins radicale dans ses partis pris, même si Gwenaël Morin fait très souvent quitter la scène à ses personnages, qui agissent alors dans les allées exiguës du théâtre, pourtant peu propices pour donner une dimension théâtrale à leurs actions.
Si l’on est parfois bien loin des ambitions de l’"antiteater" de Fassbinder, on ne pourra pas reprocher à Gwenaël Morin son manque d’efficacité. Les quatre pièces, même si on est plus réservé pour "Gouttes dans l’océan", se suivent sans déplaisir car elles sont portées par une troupe homogène toute dévouée à la cause théâtrale.
Elles permettent opportunément de remettre en lumière l’œuvre théâtrale de Fassbinder, qui souffre plus de la postérité que son œuvre cinématographique, toujours moderne car se suffisant à elle-même et ne nécessitant pas à une réinterprétation actuelle. |