Quand Cameron Mesirow changea de peau pour devenir Glasser, elle fut de suite identifiée par les audiophiles comme une engeance onirique de la lignée de Kate Bush, Björk ou encore Natasha Khan. Comme elles, Glasser joue avec une voix hantée, parfois haut perchée et modulée, qu’elle couple avec des batteries en tous genres et de l’électro au pire expérimentale, au mieux spacieuse. Avec son EP "Apply" et le single du même nom, elle a ménagé dès 2009 une voix royale à son album qui sortit en 2010 : Ring.
Fort d’un exotisme déroutant et quelque peu naïf, cette envoûtante production léchée a très vite charmé les afficionados du genre.
Trois ans plus tard, Glasser est de retour avec un second opus, intitulé Interiors dans lequel il est question de forme et d’architecture, mais surtout de la centralité de l’être humain dans le monde. Et c’est donc sans surprise que la chanteuse cite l’architecte Rem Koolhaas comme inspiration. L’homme ayant été l’un des rares de sa profession à rendre l’architecture ludique et didactique dans des écrits acclamés par les masses (les théories de Coney Island et "New York Delirious").
En ouvrant son album sur le titre "Shape", l’artiste nous avertit d’emblée, elle maîtrise son art bien mieux, puisqu’elle y met maintenant les bonnes formes. Ainsi ce titre alterne entre montée en puissance et rechute calculée, voire mesurée. En bref, l’énergie qui personnifiait son album précédent est ici tenue en laisse et n’explose qu’au besoin impérieux des cadres imposés par la chanteuse.
Sa technique a donc évolué et se fend même d’un triptyque ("Window I", II et III) qui non content d’être bien évidemment des fenêtres sur l’univers mental (et musical) de Cameron, reprend des sonorités classieuses exploitées sur des très courtes durées et qui ne sont pas sans rappeler d’une part Iamamiwhoami, d’autre part Saint Vincent.
Fort heureusement, cela ne veut pas dire que l’artiste s’est départie de l’exotisme de ses sons électroniques. Les titres comme "Landscape" ou "Window III" marquent le retour du duo bienvenu de sa voix au vocalisme orientalisé et d’une production électro qui joue avec les oreilles de façon malicieuse.
Alors que "Keam Theme", "Divide" ou même "Dissect" explore allègrement le psychisme de la chanteuse, en traitant notamment de la solitude, le plan de la chanteuse devient un peu plus clair. Celle-ci dépeint une société humaine, où les espaces privés comme publiques finissent toujours par empiéter sur son bien-être ou tout du moins sur l’image qu’elle renvoie d’elle-même. C’est d’ailleurs d’autant plus évident que la pochette de l’album en question montre une Cameron Mesirow en plein mouvement dans un habitat qui se tord sous l’action de sa poignée, tout en ayant un regard de défi à l’encontre de son propre reflet.
Glasser joue donc en réalité la carte de l’album introspectif, tout en se plaçant dans un monde consistant ("Shape", "Window") et conscient de l’autre (sur "Landscape", elle parle d’un autre avec qui elle veut admirer le même paysage, la recherche d’un autre étant présente en filigrane sur tout l’album).
Néanmoins, Interiors trouvera ses limites à la source même de son originalité, puisque contrairement à "Apply", sa compréhension au travers de multiples écoutes pourrait lui être fatale. Une bien triste conclusion pour un album qui aurait très bien pu marquer le temps et peut-être même les lieux (entendons par ici le genre) à la façon des constructions de l’architecte qu’elle citait plus haut comme influence !
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