Spectacle conçu et mis en scène par Nicolas Truong et interprété par Nicolas Bouchaud et Judith Henry.
Créé au Festival d’Avignon 2013, "Projet Luciole" conçu par Nicolas Truong, essayiste et journaliste, s'inscrit dans le cadre d'un théâtre philosophique qui se veut en l'occurrence tant militant et didactique que ludique en dégageant une dramaturgie propre à cet exercice.
La partition constituée d'un florilège de textes d’une vingtaine d’auteurs de la pensée critique est présentée en prologue, par Nicolas Truong, comme une guérilla conceptuelle pour penser et transformer le monde, notamment par la voie de la pensée analogique, et lutter contre le cynisme ambiant et la crétinisation consensuelle entrainant un génocide culturel tout en critiquant l'activisme culturel.
Il a donc constitué un objet scénique singulier qui ressortirait à "un théâtre des idées formé par des personnages conceptuels" qui aborde les critiques de la modernité qu'elle soit catastrophique, déconstructiviste, rationaliste ou démocratique, sur le mode du divertissement et le registre novateur du marivaudage philosophique.
Sont convoqués les philosophes-phares du 20ème siècle, ceux dont le patronyme suffit à l'évocation de leur pensée voire de leurs théories tels Badiou, Deleuze, Foucault, Derrida, Baudrillard, Debord ou Jankelevitch.
Ce type d'exercice, parfois factice et réducteur du fait du procédé de l'assemblage et en ce qu'il sort des bribes textuelles de leur contexte, est habilement mené par Nicolas Truong qui tient son pari en proposant une intelligente traversée réflexive, certes dense et nécessitant une écoute attentive, mais audible par tous.
D'autant qu'il a truffé la trame séquentielle de trouvailles ludiques et signe une mise en scène virevoltante inspirée du pas de deux chorégraphique pour lequel il a réuni deux comédiens talentueux et inspirés qui forment un charismatique couple de scène.
Dans la scénographie à la fois sobre et inventive de Elise Capdenat et Pia de Compiègne, avec averse de livres et pages volantes fluorescentes symbolisant les fameuses lucioles métaphore pasolinienne des pensées positives éclairant l'esprit qui a généré ce projet, Judith Henry, délicieusement piquante, et Nicolas Bouchaud, séducteur éclairé, prennent un plaisir évident, et donc communicatif, à transcender l'exercice et sublimer la joute amoureuse de bon aloi.
Il en résulte de savoureuses scènes d'anthologie comme la composition de Judith Henry de l'"Angelus Novus" de Paul Klee tel qu'il est interprété par le philosophe et critique d'art Walter Benjamin comme figure du progrès, Nicolas Bouchaud croulant non seulement sous le poids des livres mais sous les assauts de sa moitié et l'irrésistible jeu du mime-devinette dans lequel le mot commun est remplacé par un concept.
De la philosophie joyeuse avant l'apocalypse. |