Partition poétique de Franck Leibovici, mise en scène de Gweltaz Chauviré, avec Julie Lesgages et Vincent Malassis.
Dans une partition plus performance que pièce de théâtre, Gweltaz Chauviré et la Compagnie Felmur adaptent un livre de Franck Leibovici, "Portraits chinois", ouvrage composé de "paysages flottants", extraits de discours politiques, de témoignages sur une actualité donnée recueillie dans les médias ou encore de phrases prélevées sur des sites internet de groupes terroristes ou d'agences de presse.
Plutôt qu'un témoignage ou le reflet d'une situation, en accolant tous ces extraits d'origines inconnues ou vagues, ces "paysages flottants" montrent à quel point le spectateur peut perdre ses repères. Le spectateur se transforme alors en récepteur de messages qui se chevauchent, s'entremêlent, sa compréhension s'embrouille et son analyse devient impossible.
Afin de symboliser la multiplication des sources d'informations, Gweltaz Chauviré a choisi d'émettre les messages à partir de plusieurs enceintes réparties dans la salle de spectacle et de projeter des extraits des citations que Julie Lesgages, unique comédienne devant le public, va reprendre à son compte.
Sur scène et derrière une impressionnante table de mixage, Vincent Malassis déforme les sons, les voix, modifie le lieu dont proviennent les messages pour le spectateur.
La démonstration est éblouissante de la manière dont, dans notre société hypermédiatisée, le réceptacle de l'information, c'est-à-dire nous tous, perd la notion de ce qui va l'aider à comprendre le monde, à l'informer, à ouvrir une réflexion construite, et de ce qui est de l'information-spectacle destinée à émouvoir, voire à le tromper.
L'hyper-connexion, plutôt que de permettre une meilleure information et une liberté pour chacun de se forger son opinion, transmet des messages biaisés, orientés, qui entrent en collision les uns avec les autres mais dont n'émerge aucune structure, aucune vision d'ensemble.
Julie Lesgages porte ce texte, pourtant volontairement embrouillé, avec une force et un caractère évident. Vincent Malassis réussit avec ses manettes et ses micros à habiller les voix et les sons de textures surprenantes et inattendues qui brouillent autant les cartes que les messages contradictoires auxquels est soumis le spectateur.
Pour l'homme moderne occidental, la radio et le journal en papier du matin avaient, depuis le début du 20ème siècle et jusqu'à une période récente, remplacé Dieu autant dans les rituels que dans la façon de comprendre et d'interpréter le monde qui l'entourait, de s'en préserver et de se défendre par l'acquisition du savoir et le partage de la culture.
Aujourd'hui l'horizon a disparu et les boussoles se sont multipliées qui chacune indiquent un nord différent, ce qui participe de la confusion qui semble régner aujourd'hui partout sur le globe, et à l'obscurantisme de revenir au galop.
C'est la démonstration apportée avec talent et intelligence par la Compagnie Felmur à travers ces "Portraits Chinois" qui sont une expérience étonnante pour le spectateur. |