Réalisé par Jim Jarmusch. Etats-Unis. Comédie dramatique. 2h03 (Sortie 19 février 2014). Avec Tom Hiddleston, Tilda Swinton, Mia Wasikowska, John Hurt et Tilda Swinton.
Il ne s'était jamais perdu puisque son cinéma a l'habitude de vagabonder, mais on a le sentiment que Jim Jarmusch se retrouve totalement pour la première fois depuis "Stranger than paradise" et "Down by law" dans ce film qui hume l'air de son temps.
On sait que Jarmusch aime traiter à sa manière digressive n'importe quel sujet, si anecdotique qu'il soit. Il en a souvent abusé dans des récits légers trop élégants et maniérés pour être vraiment profonds.
Avec "Only lovers left alive", il s'attaque une nouvelle fois à un genre, mais pas pour en montrer l'usure ni la vacuité, comme par exemple pour le western dans "Dead Man". Son histoire de vampires postmodernes qui préfèrent acheter le sang à l'hôpital plutôt que de le prélever à coups de canines n'a pas besoin de chauve-souris et de cryptes poussiéreuses.
Ici, tout est délectablement rockn'roll, à commencer par le héros lui-même, Adam (Tom Hiddleston), musicien-vampire underground réfugié dans un coin sinistré de Détroit.
Car les vampires de Jarmusch sont des artistes, des dandys, des esthètes, des créateurs. Peut-être même sont-ils désormais les seuls à croire en l'art, au beau, à l'humour et à l'amour.
Il suffit d'entendre ce que pense des hommes le vieux Marlowe, vampire littéraire élisabéthain et évidemment porte-plume de Shakespeare, pour comprendre que Jarmusch se sert de l'incomparable John Hurt pour dire ce qu'il pense de ses congénères.
"Only lovers left alive" est évidemment un road-movie crépusculaire qui décrit un monde binaire où voisine le raffinement de la caste des vampires et la vulgarité de la race bêtement humaine.
Métaphore de l'artiste face à la vile multitude, le film de Jarmusch justifie son élitisme avec une bonne humeur cynique. Les vampires sont sans scrupules mais sans eux y auraient-ils encore des hommes ? Alors, pourquoi n'auraient-ils pas le droit, de temps en temps, à un petit prélèvement à la source, comme le fera la gourmande Mia Wasikowska ?
On soulignera la belle photo glauque de Yorick Le Saux, habitué à magnifier la magnifique Tilda Swinton ici encore plus magnifique que de coutume et on décrétera anthologique toute la partie qui se passe dans un Tanger hommage à celui des Américains déjantés, celui des beatniks à la Brion Gysin-Willams Burroughs, celui des époux Bowles.
"Only lovers left alive" de Jim Jarmusch est une leçon de cinéma qui n'a pas besoin de s'appeler master class. On ne s'étonnera donc pas que les vampires rockn'roll soient repartis bredouilles de Cannes en laissant leur palme d'or au cinéma exsangue et tristounet d'un petit maître français.
Même si comparaison n'est pas raison, en allant voir "Only lovers left alive" on comprendra vite où est l'envie et l'appétit. Un grand beau film... |