Comédie dramatique de Henrik Ibsen, mise en scène de Julie Timmerman, avec Marc Berman, Marc Brunet, Xavier de Guillebon, Dominique Jayr, Philippe Risler et Julie Timmerman.
Pour une de ses premières mises en scène, la comédienne Julie Timmerman ne verse pas dans la facilité en choisissant une pièce magistrale de Henrik Ibsen.
Dans "Rosmersholm", avec une redoutable efficacité tant dramaturgique que rhétorique, l'auteur norvégien traite simultanément, par l'usage du réalisme dialectique et avec pour levier le processus de dévoilement, des enjeux du débat idéologique entre le conservatisme et le radicalisme démocratique et une tragédie intime qui brasse les thématiques du déterminisme familial, du péché et de la culpabilité conduisant inexorablement à l'expiation et du voir de l'amour absolu détaché des contingences humaines.
Dotée d'un caractère déterminé et bien décidée à prendre sa revanche sur la vie, Rebekka, une jeune femme plébéienne au passé trouble et aux idées progressistes, archétype de l'aventurière du 19ème siècle et préfiguration de la femme émancipée du 20ème siècle, s'impose à Rosmersholm, la demeure des Rosmer, dynastie aristocratique de pasteurs et de grands commis de l'Etat, devenue le bastion du conservatisme dans une société puritaine inféodée aux préceptes moraux rigoristes et à l'intégrisme du dogme religieux.
Elle aspire à dynamiter l'ordre social non seulement en s'élevant dans l'échelle social par la voie du mariage avec le maître de maison après avoir poussé au suicide son épouse affectée par sa stérilité mais également en provoquant la conversion politique du dernier des Rosmersholm.
Mais c'est sans compter sur l'atmosphère délétère de cette demeure dans laquelle les morts s'accrochent aux vivants comme leurs portraits en phagocytent les murs et sur laquelle plane la mort symbolisée par un cheval blanc, et la virulence de ceux qui détiennent le pouvoir et pour qui le combat vise à la déconsidération publique de leurs opposants.
N'oeuvrant ni dans la contextualisation ni dans l'adaptation, Julie Timmerman livre une proposition maîtrisée et rigoureuse, fidèle à l'esprit, à la lettre et à la beauté du verbe ibsenien pour lequel chaque mot est porteur de sens, tel qu'il ressort de la traduction émérite de Eloi Recoing, et donc à l'oeuvre originale dont la pertinence et la modernité ont traversé le siècle.
Le drame se déroule dans un décor unique conçu par Clémence Kasémi, un intérieur aux murs constitués de panneaux pivotants à double face, un côté blanc évoquant l'avenir possible comme une page blanche à écrire, un côté représentant les portraits de famille, vision écrasante des ancêtres qui vont transformer l'espace en chambre d'écho des morts.
La mise en scène de Julie Timmerman est rigoureuse, alors même qu'elle s'est distribuée dans le rôle principal qu'au demeurant elle tient d'excellente manière avec une belle intensité de jeu qui rend compte de la tension intérieure du personnage soumis à la loi du destin, à la contamination par l'esprit des Rosmers qui ennoblit mais tue le bonheur et à l'amour qui l'a conduit au renoncement.
Et elle a réuni une belle et judicieuse distribution qui porte parfaitement la partition. Dominique Jayr traduit bien la fausse ingénuité du personnel ancillaire témoin impassible des drames.
Belle composition également pour Marc Berman, l'ex-précepteur qui doit faire le deuil de ses idéaux politiques, Philippe Risler, ancien instituteur mis au ban de la société pour sa liaison avec une femme mariée reconverti en journaliste virulent et sans scrupules et Marc Brunet dans le rôle du proviseur Kroll archétype du réactionnaire pourfendeur de la démocratie populaire.
Enfin, Xavier de Guillebon prête son physique ascétique et son talent au dernier des Rosmer qui connaît un revirement symétrique à celui de Rebekka, l'homme timoré victime de son hérédité et de son éducation élitiste devenant un idéaliste exalté qui veut faire de tous les hommes des aristocrates en libérant les esprits et purifiant les volontés.
Les parti pris de Julie Timmerman pour un jeu très tenu et en costumes sont assumés et cohérents. Le théâtre d'Ibsen est un théâtre des ténèbres intérieures et les passions, qui ne donnent jamais lieu à d'exubérantes démonstrations, consument de l'intérieur, sous les corsets et les cols durs. |