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Let Go  (Labels)  novembre 2003

"Was mich nicht umbringt, macht mich härter" peut-on lire dans Götzen-Dämmerung : "Ce qui ne me tue pas me rend plus fort", écrit ainsi Friedrich Nietzsche pendant l’été 1888, avant que la maladie, quelques années plus tard, ne finisse par le tuer, justement. Cet aphorisme célèbre et depuis longtemps galvaudé peut aussi se traduire plus élégamment de la manière suivante : "Cela me brise le cœur de devoir dire du mal du dernier album de Nada Surf, mais je vais tout de même le faire, parce qu’il le faut, et que je sortirai grandi de cette épreuve".

Pardonnez-moi ce pathos sans doute déplacé, et comprenez-moi bien : alors que je m’apprête, contre mon gré, à vous expliquer pourquoi Let Go ne vaut pas le prix auquel vous allez le payer chez votre disquaire favori, je jette un regard attendri à la discographie complète de Nada Surf qui s’aligne sagement sur mon bureau, discographie que j’ai achetée au prix fort et de mes propres deniers. Mieux, ou pire plutôt, je possède deux exemplaires du dernier opus en question : celui que j’ai eu la mauvaise idée d’acheter dès sa sortie, et la toute récente réédition spéciale que je suis supposé chroniquer aujourd’hui.

Avant de remplir cet office de bourreau qui ne m’enchante pas, je ne peux donc que vous conseiller de vous procurer leur premier album, High/Low : seul le "tubesque" "Popular" a laissé sa marque au milieu de nos années 90 saturées de rock alternatif, alors que le reste de ce cédé efficace et énergique, qui n’a d’ailleurs pas grand chose à voir avec le single, mérite d’être écouté, au moins autant sinon plus. Ceux qui ont entendu "Deeper Well", "The Plan", ou "Treehouse", savent de quoi je parle.

Trêve de digression cependant : mieux vaut retirer le sparadrap rapidement et d’un coup sec, et vous dire tout net que Let Go est un album tiède, mou, ennuyeux, lisse, presque innocent mais tellement oubliable. Certes, on ne peut que louer Nada Surf d’avoir eu le courage et la volonté de changer de direction : leur style punk-rock-power-pop vitaminé des débuts, version plus nerveuse et directe d’un Weezer période bleue, les avait en effet rapidement menés droit dans le mur, comme en témoigne The Proximity Effect, leur désastreux deuxième album.

Malheureusement, le trio a troqué son rock mâtiné de punk contre un rock alternatif poli, convenu, et tellement déjà-vu. Nada Surf cherche à conjurer une atmosphère douce-amère et mélancolique, par des chansons lentes aux motifs répétitifs, mais ne parvient qu’à endormir le chroniqueur fatigué, ou à l’agacer dans le meilleur des cas. Je pense par exemple aux longs et soporifiques "Blonde On Blonde", "Inside Of Love", ou à l’insupportable "Killian’s Red", qui affiche sans complexe une durée de six minutes et treize secondes.

A titre personnel d’ailleurs, j’exècre tout particulièrement "Paper Boats", la douzième piste, qui remporte haut la main la palme de la chanson interminable, avec, tenez-vous bien, sept minutes au compteur. Vingt Dieux ! Sept minutes ! Quatre cent vingt secondes ! Quatre cent vingt atroces secondes d’un ennui inexorablement distillé au compte-goutte ! Quatre cent vingt secondes irrémédiablement tombées dans l’abîme néantique ! Quatre cent vingt secondes qui ne conduisent nulle part et ne laissent dans la bouche pâteuse que le goût amer du temps perdu !

Quand enfin le groupe se décide à brancher les guitares, le résultat n’en est que plus décevant : sans l’énergie et la nervosité de High/Low, la mayonnaise ne prend plus : leurs velléités de compositions agressives n’aboutissent qu’à des titres mous, auto-parodies de leurs chansons anciennes. Ce constat est tristement évident à l’écoute de pistes comme "No Quick Fix" ou "Happy Kid", deux rocks mid-tempo jumeaux et fatigués, aux guitares claires métronomiques qui sentent la codéine et le Prozac. Prisonniers entre un format qu’ils ne maîtrisent plus, et un format qu’ils ne maîtrisent pas encore, les Nada Surf nous livrent un album peu inspiré et insipide.

De toute façon, dès que la moindre bonne idée apparaît, elle se trouve immédiatement gâchée par la production médiocre : écoutez ces voix trafiquées inappropriées qui surgissent sur le deuxième couplet de "The Way You Wear Your Head" ; remarquez ces effets grandiloquents sur "Blizzard of ’77", la première piste de l’album ; essayez d’imaginer ce qu’aurait pu donner "Hi-Speed Soul" sans cette ligne de synthétiseur franchement ridicule…

Quant aux textes, leur qualité est supérieure à celle de The Proximity Effect, Dieu merci, mais tout de même largement inférieure à celle de High/Low. Pour vous en assurer, jetez juste un œil aux paroles de "Fruit Fly", et riez un peu avec moi, car le rire est facile : "left some food wrapped up / in a plastic bag / on the kitchen table / way too long / i sat down to eat / next to the bag / i was too tired / to throw it out" … Mon Dieu, dites-moi que je me trompe, dites-moi que ma connaissance de l'anglais est insuffisante, dites-moi que ces lignes apparemment insipides sont en fait gorgées de subtile poésie sous-jacente…

Comme l’écrivent les frères Wachowski, les deux plus grands philosophes de cette époque troublée : "Ce qui a commencé doit finir". Terminons donc cette exécution en règle avec "l’Aventurier". En effet, cette réédition spéciale de Let Go est assez différente de la première. Elle nous épargne par exemple les trois pistes bonus de l’édition originale, ce qui n’est pas forcément une mauvaise chose : on échappe notamment à l’impossible "Neither Heaven Nor Space", dont je ne dirai pas ici tout le mal que je pense, pour que cette chronique ne tourne pas au vitriol.

Cependant, cette réédition nous fait aussi cadeau du Copy Control, cette technologie de protection stupide, qui empêche le consommateur d’écouter sur son PC autre chose que des fichiers compressés de mauvaise qualité. Et surtout, ce disque nous gratifie donc de la reprise de l’Aventurier, produite par l’omniproduisant Benjamin Biolay, et co-interprêté, ô surprise, par Coralie Clément. L’attention et l’intention de Nada Surf sont touchantes et louables, de rendre hommage au public français avec ce titre phare de nos années quatre-vingts. Toutefois, le trio ne peut pas radicalement métamorphoser une chanson dont le rythme est intrinsèquement répétitif voire assommant, et le texte éminemment stupide voir débile. Il eût fallu prévenir Nada Surf : les années quatre-vingts sont en France les années d’Indochine, de Jeanne Mas, de Stéphanie de Monaco, bref, les années de la honte…

Le pire dans cette triste histoire qui me déprime terriblement, c’est que j’aime Nada Surf. J’aime leur amour de la France, et leur parti-pris d’incorporer deux chansons en français à leur album, "Là pour ça" et "l’Aventurier". J’aime leur statut d’éternels outsiders du rock. J’aime leur histoire romanesque de groupe abandonné par leur maison de disque, leur lutte afin de récupérer les droits de leur deuxième album, leur volonté de ne pas rester " les types qui chantent Popular". Je les trouve compétents, et efficaces quand ils le veulent : les guitares de Matthew Caws sont simples mais savent faire mouche ; la section rythmique est imparable, et la batterie de Ira Elliot est exceptionnelle. Pire, j’écoute toujours High/Low, et j’arrive même, avec beaucoup d’abnégation il est vrai, à trouver mon compte dans Let Go, en abusant du bouton "avance rapide", et en m’attardant à dessein sur "Blizzard of ’77", "The Way You Wear Your Head", "Hi-Speed Soul", et "Treading Water" …

Je conclurai donc cette chronique comme je l’ai commencée, et comme Nietzsche, je me jette en pleurant au cou du vieux cheval fatigué, si vous voyez ce que je veux dire.

 

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