En deux albums, Lost, Lost, Lost (2010) et Pensée Magique qui vient tout juste de sortir, Jean-Sébastien Nouveau a construit avec son groupe à géométrie variable, Les Marquises, une œuvre aussi singulière que dense. Son premier album était une figure musicale de l’œuvre étrange d’Henry Darger, Realms Of The Unreal. Cette fois ci, Jean-Sébastien Nouveau s’attaque au monde de la jungle pour un disque d’une rare puissance évocatrice et onirique. Un disque dans lequel on peut se perdre pour son plus grand plaisir…
Ton précédent et premier disque avec les marquises s'appelait Lost Lost Lost. Le nouveau se nomme Pensée Magique. Pourtant, quand on l'écoute, on se dit que les deux noms auraient pu être intervertis tellement on peut se perdre dans ce disque.
Jean-Sébastien Nouveau : J'aime beaucoup prendre l'auditeur par la main, le balader, et lui faire perdre son chemin à un moment donné pour lui faire découvrir de nouvelles contrées. En ce sens, les deux albums peuvent apparaître assez proches. Mais Pensée Magique est davantage aventureux, physique, et va plus loin.
Les marquises sont une association de musiciens qui semblent tourner autour de toi. Comment fais-tu pour composer et tout ordonner ?
Jean-Sébastien Nouveau : Je compose les morceaux seul chez moi, et c'est seulement dans un second temps que je m'associe avec d'autres musiciens. Au moment où les morceaux sont bien avancés, mais où je commence à sentir que je suis un peu au bout de moi-même, de mes idées. Collaborer avec d'autres musiciens me permet d'enrichir les morceaux, et de les emmener un peu plus loin, de leur donner une autre dimension, un autre grain.
En quoi tes projets annexes (Immune, Colo Colo) nourrissent Les Marquises ?
Jean-Sébastien Nouveau : C'est dur à dire, je ne sais pas trop... Je vois ces projets comme très distincts. Je n'y mets pas la même chose, et les processus de composition ne s'opèrent pas de la même manière.
Revenons à l'écriture des chansons. On retrouve dans ce nouvel album des titres avec une réelle densité sonore, pourtant cette fois les rythmes, la batterie semblent être l'élément de point de départ, le squelette.
Jean-Sébastien Nouveau : J'avais envie de faire un disque plus tribal, mais aussi plus brut. J'avais beaucoup en tête des images de jungle, et ça m'a servi de fil conducteur pour déterminer le grain, l'orientation des morceaux. Mais généralement je pars des rythmes. Cela avait déjà été le cas avec l'album précédent. Pour moi, une fois qu'une pulsation s'établit bien, normalement l'aspect mélodique doit en découler assez facilement.
Il y a un côté très cinématographique, on imagine presque un synopsis. Quelle est l'histoire de Pensée Magique ?
Jean-Sébastien Nouveau : Pensée Magique, c'est un peu la traversée d'une île de long en large. On arrive sur la plage, on plonge dans la jungle, on découvre une clairière... Pour moi c'est ça, mais aussi d'autres choses, d'autres images mentales, d'autres bouts d'histoires. Chaque morceau est un maillon de cette histoire de traversée, mais aussi un point de départ vers une autre histoire complètement différente. Pour "The Visitor" par exemple j'ai pensé au morceau "Mathilde" de Jacques Brel, à "Théorème" de Pasolini ou encore aux "Harmonies Werckmeister" de Bela Tarr. Toutes ces histoires où quelqu'un arrive (ou revient) quelque part, et ça chamboule tout, car tout le monde se retrouve sous l'emprise de cette personne car les gens projettent en elle leurs espoirs, leurs désirs.
Quelles ont été les influences du disque aussi bien musicales, que cinématographiques ou littéraires ?
Jean-Sébastien Nouveau : Il y a eu surtout des films : "Aguirre, la colère de Dieu" et "Fitzcarraldo" de Werner Herzog, "Sa Majesté des Mouches" de Peter Brook, "Les Maîtres Fous" de Jean Rouch, ou encore "Apocalypse Now" de Coppola. Sinon, musicalement à cette période j'écoutais beaucoup Moondog, John Coltrane, Laurie Anderson, de la musique balinaise... Des choses qui pouvaient m'apporter pour nourrir ma musique.
Pourquoi la jungle ?
Jean-Sébastien Nouveau : Parce que pour moi c'est un lieu archaïque idéal où se projeter. Et puis c'est un lieu fascinant, insaisissable, indomptable, un lieu de lutte, hostile, dense, sauvage...
Cette jungle n'était-elle pas la métaphore de ton disque : un monde dense, assez sombre, dans le lequel il faut avancer pas à pas mais qui réserve de superbes surprises ?
Jean-Sébastien Nouveau : C'est exactement ça ! C'est exactement ce que j'ai voulu faire. Faire éprouver ce monde à l'auditeur. |