Réalisé par Daniele Incalcaterra et Fausta Quattrini. France/Argentine. Documentaire. 1h32 (Sortie 26 mars 2014).
Daniele Incalcaterra présente son film comme un "western documentaire" et l'on lui donnera immédiatement raison : cette plongée dans le "Chaco paraguayen" a tout d'une aventure extrême dans une contrée sauvage où quelques idéalistes, rêvant de sauver des terres encore vierges et de les rendre à des Indiens qui en ont été iniquement chassés, affrontent des aventuriers sans foi ni loi, au service d'intérêts économiques ultra-puissants qui ne rêvent que d'y installer des troupeaux ou d'y cultiver du maïs transgéniques.
Avant que des consortiums ne la rasent à coups de bulldozers, le "Chaco" était la deuxième forêt vierge d'Amérique Latine après l'Amazonie. Plus d'un million deux cent milles kilomètres carrés d'arbres, soit deux fois la France, constituait cette forêt s'étendant entre la Bolivie, le Paraguay et l'Argentine. Une forêt tellement dense, tellement loin de tout qu'on l'appelait "L'Impénétrable"... et que personne n'avait songé à y aller voir, et donc ignorait les menaces qui la cernaient.
Heureusement, Daniele Incalcaterra, cinéaste argentin bien connu en France pour avoir co-dirigé les ateliers Varan et enseigné à la FEMIS, se retrouve, presque à son corps défendant, partie prenante de cette destruction programmée dans un silence presque total.
En effet, son père lui a donné en héritage 5 000 hectares de ce "Chaco paraguayen" qu'il avait acheté jadis pour une bouchée de pain. Ne sachant qu'en faire, le cinéaste cherche au moins à découvrir "son territoire"... Or, il ne peut y aborder, sa propriété étant entourée de domaines privés contrôlant les routes y accédant.
Dès lors, Daniele décide, non pas de vendre sa propriété, mais d'en faire une réserve, un havre de paix pour les animaux chassés de tous les territoires victimes de la déforestation et surtout pour le donner aux Indiens dont les droits sont bafoués par tous ses prédateurs économiques qui contrôlent l'état paraguayen.
Cette lutte inégale, face à des vrais grands méchants, comme le multi-millionnaire Favero - homme le plus riche du Paraguay - qui veut transformer la forêt en herbages pour ses troupeaux ou en champs pour ses maïs transgéniques, sera l'objet de son film co-réalisé avec Fausta Quattrini.
Un documentaire à la fois truculent, dépaysant et désespérant qui montre comment la moitié du monde est en train d'être détruit pour nourrir (mal) l'autre moitié.
"El Impenetrable" est donc tour à tour un grand cri contre la mondialisation et ses conséquences dans les pays apparemment à l'écart, et un appel à lutter envers et contre tout pour que ce qui semble inexorable et fatal n'advienne pas.
Suspense cinématographiquement impeccable, le film de Daniele Incalcaterra et Fausta Quattrini se suit effectivement comme un western. On y trouve des vrais morceaux de bravoure comme ces séquences dans lesquelles le cinéaste argentin et ses amis cherchent à pénétrer dans son domaine rendu impénétrable. On y croise des personnages hors normes, comme ce Tranquillo Favero capable de dire crûment à l'amie Daniele ce qu'il va faire du Paraguay pour gagner encore plus d'argent.
"El Impenetrable" de Daniele Incalcaterra et Fausta Quattrini est, toutes catégories confondues, un grand film qu'il faut absolument découvrir.
Dans la jungle d'une semaine cinématographique qui compte son habituel lot d'une quinzaine de nouveaux titres, cette plongée dans le "Chaco" vaut vraiment le déplacement. Ce qui s'y passe aujourd'hui est vital pour comprendre ce que risque d'être le monde à venir.
Alors, il faut le répéter sans se lasser : "El impenetrable" de Daniele Incalcaterra et Fausta Quattrini est un grand film indispensable. |