Spectacle conçu et mis en scène par Chantal Melior, avec Gautier Gaye, Ariane Lacquement, Dea Liane, François Louis, Mathieu Mottet et Siva Nagapattinam Kasi.
Chantal Melior, comédienne et metteur en scène et fondatrice de la Compagnie Le Théâtre du Voyageur dédiée à un théâtre répertoire mêlant textes littéraires, scientifiques et philosophiques, propose avec "Les nomades" une épopée théâtrale hors du commun qualifiée de "western philosophique".
Ce périple consiste en une véritable traversée du désert, non de celle touristique avec méharis folkloriques et campement trois étoiles, mais de celle physique et mentale dans le plus grand désert du monde situé au sud de l'Arabie saoudite, tel qu'il existait au milieu du 20ème siècle sur les traces de l'explorateur et écrivain britannique Wilfred Thesiger, auteur du "Désert des Déserts".
Chantal Melior a puisé dans ce témoignage qu'elle a hybridé avec des textes de philosophes, Friedrich Nietzsche et Gilles Deleuze, d'un historien arabe du 14ème siècle, Ibn Khaldoun, et du naturaliste-marcheur Théodore Monod pour concevoir une partition théâtrale d'exception qui propose une réflexion contemporaine sur la condition humaine et le sens de la vie au regard des valeurs fondamentales qui en sont l'essence.
L'homme doit réapprendre les vertus cardinales que sont le détachement, avec la différence entre le besoin et le superflu, qui mène à la sagesse, la notion du temps pour vivre dans le présent et non dans le regret ou le désir, et les valeurs humanistes que sont la fraternité, la générosité et l'hospitalité.
Et cela dans la traversée du désert, qui est également voyage intérieur et leçon de vie, au terme d'une rude odyssée dont le déroulement est dicté par les conditions climatiques, la configuration du terrain, l'emplacement des puits, et l'épuisement des réserves et rythmée par le pas des chameaux.
D'une beauté et d'une puissance époustouflantes, le spectacle se développe en tableaux séquencés dans l'immensité d'un espace vide suggéré par les grands lais de lin clair tombant des cintres et le sol de sable blanc de la scénographie conçue par Marine Porque qui cerne le regard tout en ouvrant l'imaginaire à l'infini, dans laquelle apparaissent et disparaissent, comme par enchantement mais également grâce à l'habillage lumineux de Michel Chauvot, économe de projecteurs directionnels grâce au recours judicieux à une rampe lumineuse en front de scène, les personnages aux costumes évoquant le vêtement intemporel des modestes bédouins.
La mise en scène inventive et la direction d'acteur au cordeau de Chantal Melior, appuyée par la chorégraphe Ariane Lacquement qui transcende chaque déplacement des corps et émaillée de ponctuations musicales, notamment des "Variations Goldberg" de Bach jouées au piano par Dea Liane, font de cette partition une véritable invitation au voyage vers ce "là, tout n'est qu'ordre et beauté, luxe, calme et volupté" auquel aspire tout homme.
Ce qui, pour autant, du fait du jeu sans faille des comédiens, ne distrait pas le spectateur captivé par les péripéties vécues par l'explorateur (Jean-Michel Grigoroff) avec le guide (Sivaraman Nagapattinam Kasi) et les habitants du désert qui l'accompagnent (Mathieu Mottet qui apporte une jolie note comique dans le rôle du jeune bédouin, Gautier Gaye, Ariane Lacquement, Dea Liane et François Louis).
Intelligent dans son propos, poétique dans son essence, créatif dans sa conception et fluide dans son interprétation, n'usurpant pas son qualificatif de "western philosophique", ce spectacle porté par un avéré travail de troupe est une totale réussite. |