Comédie écrite et mise en scène par Lucia Calamaro, avec Daria Deflorian, Federica Santoro et Daniela Piperno.
"L'origine du monde" écrite et mise en scène par la comédienne, auteur et metteuse en scène italienne Lucia Calamaro constitue une partition magistrale tant au plan de l'écriture et de la dramaturgie que de l'approche ontologique de la vacuité existentielle et, d'une certaine façon, de l'héroïsme à supporter sinon triompher de la banalité du quotidien.
Placé sous les belles augures picturales du fameux tableau de Courbet mais également des natures mortes de Giorgio Morandi, ce dernier ayant sans doute également inspiré la scénographie minimaliste de Marina Haas, la partition tragi-comique en trois actes de Lucia Calamaro est sous-titrée "Portrait d'un intérieur", au double sens du parcours introspectif d'une femme et ce, au sein du territoire qui lui est traditionnellement dévolu, celui de la sphère domestique, qui constitue son ancrage dans le réel.
Avec une acuité d'entomologiste, une remarquable écriture non exempte de poésie qui puise dans la langue du quotidien, sans toutefois verser dans ni dans le vulgaire ni dans la subculture, d'une belle puissance dramaturgique et pétrie humour ironique, elle explore et interroge l'identité féminine à travers un croisement de focales que sont la sexuation sociétale, la quête existentielle et un état psychotique qu'est la mélancolie à travers une triade familiale plurigénérationnelle.
"Femme mélancolique au frigo", le premier opus, procède à l'identification d'une femme en crise : femme au foyer, Daria, la quarantaine, traverse une phase dépressive qui la maintient recluse à son domicile où elle passe son temps à soliloquer sur le sens de la vie et de son existence cherchant en vain des réponses au fond de son réfrigérateur, dans les brefs non-échanges avec sa fille et adolescente et les non-réponses de son psychanalyste.
A la lueur de la seule de la lumière du frogo, le jeu subtil de Daria Deflorian et la juste ubiquité de Federica Santoro font merveille.
Ordonné autour d'une machine à laver et d'une armoire-penderie, respectivement symbole d'inféodation domestique et de tensions entre l'intérieur et l'extérieur, le deuxième volet intitulé "Certains dimanches en pyjama", opus totalement jubilatoire, est articulé autour du personnage de la grand-mère, figure du principe de réalité, campée de manière épatante par Daniela Piperno.
Celle-ci, qui a su s'accommoder des vicissitudes du quotidien au prix d'une résignation qui tient du consentement philosophique ("l'ennui quand on ne s'y noie pas c'est la vie"), est parvenue à la célébration de l'épiphanie existentielle symbolisée par le torchon de cuisine, a su canaliser ses névroses en dispensant des conférences sur la phénoménologie de l'intimité bourgeoise.
Elle se livre à une critique virulente du comportement doloriste de sa fille, dont elle reconnaît la nature mélancolique congénitale mais blâme sa complaisance victimaire, au demeurant encouragée par l'attitude compassionnelle de sa petite fille. Daria ne doit son salut - temporaire - qu'à son sens de l'humour et de l'autodérision.
Mais ses interrogations perdurent et tente un dernier recours auprès du gourou des âmes pour constater "Le silence de l’analyste". Car s'il pose des questions, il ne donne jamais de réponses et la possible réconciliation avec soi-même et la vie se trouve, peut-être, autour de la vaisselle faite à l'évier avec sa fille adulte qui essuie.
L'écriture est intelligente et travaillée, la direction d'acteur au cordeau, le jeu des comédiennes magistral.
Tout est net, précis et sans bavure. Encore une pépite à mettre au crédit du théâtre transalpin. |