Réalisé par Emma Dante. Italie/Suisse/France. Comédie dramatique. 1h32 (Sortie le 2 juillet 2014). Avec Emma Dante, Alba Rohrwacher, Elena Cotta, Renato Malfatti et Dario Casaroia.

Quand on a la chance de s'appeler Dante, on a fortement intérêt à se faire un prénom pour espérer conquérir un peu de la poussière de la renommée de l'amoureux de Béatrice.

Avec "Palerme", Emma Dante devrait y parvenir et laisser une trace, sinon éternelle comme son glorieux homonyme, du moins durable dans la mémoire de ceux qui verront ce film en tous points inoubliable.

Le titre original de "Palerme" est "Via Castellana Bandiera", c'est-à-dire l'endroit précis où se déroule l'action du film.

Mais ce changement n'est pas en soi une trahison : on aurait pu tout aussi bien titrer "Sicile" plutôt que "Palerme". Car, dans ce petit coin perdu de la grande ville sicilienne, cette rue cul-de-sac dans laquelle va se jouer un symbolique face-à-face, c'est toute l'âme d'une Italie dure et pauvre qui s'incarne.

"Palerme" est une œuvre qui a du souffle, le souffle rauque d'un pays figé dans une éternité qui tient dans un frein à main qui lâche ou une peau brûlée qui dés sèche.

Duel de femmes intraitables, arbitrés par des hommes qui font semblant de ne pas leur obéir, le film d'Emma Dante s'amuse à parodier Sergio Leone pour cacher avec pudeur qu'il est un pur éclat de tragédie grecque ou latine.

Deux conductrices se font face : d'un côté, Samira (Elena Cotta), une vieille femme, un bloc de déraison sicilienne, pour qui s'entêter c'est survivre ; de l'autre, Rosa (Emma Dante en personne), une femme dans la plénitude de la quarantaine, intellectuelle, moderne, mais née là et pour qui reculer serait nier qu'elle en soit partie.

Aucune ne voudra céder le passage dans ce duel théorique des anciens contre les modernes, de la tribu contre l'individu, des prolos contre les bobos.

Emma Dante enclenche une mécanique théâtrale qui est une machine infernale parce qu'elle sait justement s'extraire avec une prodigieuse adresse scénarique de tout ce qui pourrait n'être qu'un froid mécanisme, une habile histoire emblématique.

On ne dira pas comment elle résout, ou ne résout pas, l'équation qu'elle a inscrite sur l'écran noir, mais on peut dire que sa manière de tirer ses personnages du mauvais pas dans lequel ils se sont mis est l'occasion d'un ultime plan d'anthologie. On défiera quiconque, même le plus rétif à un long plan séquence, de ne pas succomber à ce morceau inouï de cinéma.

Venue du théâtre, Emma Dante a su créer une prodigieuse galerie de gueules siciliennes et donner à chaque personnage le loisir de ne pas être un figurant.

Évidemment, on sera sous le charme d'Elena Cotta, ce bloc de (presque) silence qui est une des plus grandes actrices italiennes et qui a reçu le prix d'interprétation à Venise pour "Palerme". Mais on appréciera aussi le couple que forment Emma Dante et Alba Rohrwacher dans ce film où les femmes font la loi.

"Palerme" d'Emma Dante est un film qui part d'une anecdote pour conquérir l'universel, ce qui est l'apanage de toutes les grandes œuvres. On n'hésitera donc pas à écrire qu'il s'agit d'un film marquant, pas simplement le film à voir cette semaine.