Comédie satirique d'après l'oeuvre de Karl Marx, mise en scène de Sylvain Creuzevault, avec Vincent Arot, Benoit Carré, Antoine Cegarra, Pierre Devérines, Lionel Dray, Arthur Igual, Clémence Jeanguillaume, Léo-Antonin Lutinier, Frédéric Noaille, Amandine Pudlo, Sylvain Sounier, Julien Villa et Noémie Zurletti.
Pour son retour, Karl Marx ne recule devant rien ! D'abord, il n'a aucun respect pour une salle mythique comme la grande salle de la Colline. Sans se soucier de l'intendance, qui suivra comme disent les militaires, il en revient aux bons vieux gradins populaires.
De part et d'autre de la scène qui doit géographiquement être ailleurs que l'habituelle, deux escaliers de gradins se font face et, égalité oblige, les spectateurs s'assoient où ils le veulent ou le peuvent. Une fois tout le monde mal installé, s'ensuit un long préambule rigolo un peu café-théâtre où l'acteur qui jouera bientôt Blanqui s'amuse à faire dialoguer tout seul comme un grand Sigmund Freud, Brecht et Michel Foucault.
Marx attendra donc encore un peu.. et même plus qu'un peu puisque la bonne douzaine d'acteurs qui surgit alors est composée des socialistes de toutes obédiences qui viennent de faire la Révolution de 1848. En écoutant leurs discussions animées, on constate déjà que les modérés et une partie d'eux-mêmes sont en train de passer à la moulinette la "sociale", la révolution du peuple.
Assis sur des tables pour manger des plats de lentilles avec un bon morceau de cochon, l'appétit des révolutionnaires est aiguisé et l'on suivra avec intérêt les propos de Blanqui, Raspail, Barbès... c'est-à-dire que l'on assistera à une vraie comédie de boulevards (parisiens) ! Et cela sous l'oeil de Friedrich Engels, l'alter ego de Karl.
La quinzaine d'acteurs qui participe aux débats est bien affûtée et leurs discussions se suivent avec intérêt et constituent bien une belle proposition théâtrale, perturbée par des numéros incongrus, notamment ceux d'un personnage qui visiblement récite des textes post-modernes et pas très marxistes...
Une fois installés trop confortablement dans la Révolution de 1848, le spectateur mal assis est soumis à un nouveau trauma : les acteurs changent de peau et de pays. Même si Marx n'est pas encore au rendez-vous, voilà Berlin en 1919, dans un repas de noces avec encore des socialistes (mais allemands) qui bavardent puis s'étripent au moment même où l'on enterre Rosa Luxembourg...
On restera longtemps dans cette configuration propice à bien des événements, avant que dans une dernière partie, on n'en revienne, mais pas que, aux procès des révolutionnaires futurs boulevards qui étaient les protagonistes de la première partie sont jugés par la "République" de Louis Napoléon Bonaparte.
Raconter autant de choses en 2 heures 45, c'est en soi une prouesse dont il faut féliciter Sylvain Creuzevault. Cette matière en fusion théâtrale brasse beaucoup de choses saisissantes et fournit de quoi alimenter de beaux moments de bravoure que l'on suit sans ennui.
Dans le même temps, elle pose une nouvelle fois la question de la "confusion". Raconter le monde comme une somme d'éléments hétéroclites qui se heurtent dans une dialectique chaotique, n'est-ce pas s'éviter le "vrai" travail d'un créateur, c'est-à-dire dépasser le constat pour donner à voir un peu de clarté et ne pas se contenter d'exposer le brouhaha pour se risquer à sa propre opinion ?
On pourrait d'abord reprocher à Sylvain Creuzevault de ne pas tenir sa promesse : même si à un moment quelques acteurs osent réciter quelques pages de "Das Kapital" sur la "valeur travail" qui ne les rendent pas plus limpides qu'à la lecture, on est ici dans l'adaptation de "La Lutte des classes en France en 1848" et du "Coup d'état de Louis-Napoléon", livres politiques de Marx.
On pourrait surtout lui reprocher de ne pas encore canaliser son énergie débordante et de trop vouloir en dire et en montrer. La partie "allemande" de "Le Capital et son singe" est-elle vraiment nécessaire ? Pourquoi transformer le procès des révolutionnaires en sketchs qu'achèterait sans problème Canal Plus ?
Reste une sacrée bande d'acteurs, un metteur en scène doué qui, s'il n'est pas mangé par la vaine gloire du moment, et s'il ne croit pas que ce qu'il répète en collant à la "Godard" des propos divers et variés a un sens, politique et philosophique, peut éviter l'habileté d'un grand faiseur. |