Réalisé par Jean-Charles Hue. France. Drame. 1h34 (Sortie le 17 septembre 2014). Avec Jason François, Michaël Dauber, Frédéric Dorkel, Moïse Dorkel, Philippe Martin (II) et Christian Milia-Darmezin.
Connaissez-vous les Yéniches ? En un clic sur Wikipédia, vous apprendrez qu'il s'agit d'une ethnie de "gens du voyage" vivant principalement dans les pays du Nord de l'Europe et qu'on trouve en France en Picardie, dans le Nord-Pas-de-Calais et en Alsace. Vous apprendrez que Stéphan Eicher et surtout Yul Brynner sont apparentés à cette communauté.
Mais, bientôt, après avoir vu "Mange tes morts" de Jean-Charles Hue, vous citerez comme célébrités yéniches toute la famille Dorkel.
Depuis dix ans, Jean-Charles Hue a posé sa caméra sur les aires où ces gitans garent leurs caravanes et a commencé avec eux une expérience unique, dont "Mange tes morts" constitue, pour l'heure, l'apogée. Après les avoir filmé dans trois ou quatre courts-métrages, il leur a consacré un premier long, en 2010, "La BM du Seigneur".
Attention ! Il ne s'agit pas de raconter leur vraie vie façon documentaire, même s'il y a du vrai dans son faux, mais de tourner avec eux une authentique fiction.
Ceux qui ont cru voir du naturel dans le récent "Party Girl" n'auront pas de mots pour définir le naturel des Dorkel de Jean-Charles Hue. Les gitans, héros de ce thriller sauvage, paraissent dire leurs mots, vivre leurs passions, se jeter dans la gueule du loup avec leurs cœurs, leurs corps et leurs tripes.
Dans "Mange tes morts", Fred Dorkel n'a pas besoin d'avoir vu un film de Cassavetes pour jouer Fred Dorkel, un Fred assoiffé d'amour et happé par la mort, qui n'est pas totalement lui-même, mais un beau personnage inoubliable, qui écrase le film de sa présence massive, intense, pleine d'une humanité maladroite.
À peine sorti de presque deux décennies de prison, Fred part dans une balade désespérée et y entraîne une dernière fois les siens. Peu à peu, le film se transforme : décrivant avec précision une communauté, ses mœurs et ses usages, il devient quand Fred en prend les rênes de plus en plus abstrait et onirique.
Dans des décors elliptiques de banlieues et de pré-banlieues, au milieu de chemins de nulle part qui aboutissent à des centrales électriques ou des postes d'aiguillage, des routes où l' "Alpina" de Fred dépasse la vitesse existante pour carrément voler vers l'appel du destin, "Mange tes morts" devient un road-movie extrême, rendu encore plus étrange par le sous-titrage de ce français gitan qui va à cent à l'heure.
Cette VF en VO donne au film une singularité indéniable où des gitans blonds qui vivent dans la lumière du Christ se transforment soudain en ombres pourchassés dans un univers déglingué et nocturne.
Vraie surprise pour le cinéma français, se gardant de toute complaisance avec son sujet, "Mange tes morts" de Jean-Charles Hue, qu'on rangera aux côtés des meilleurs films de Martin Scorsese consacrés aux italo-américains, est une épopée imprévue loin des routines, des paresses et des bonnes intentions qui dominent les écrans nationaux. Totalement imperméable aux sirènes de la bonne conscience, le film se refuse ainsi à jouer la carte du peuple persécuté aux temps de Monsieur Valls.
Ni victimes, ni héros, les Yéniches décrits et transformés en personnages par Jean-Charles Hue auront simplement prouvé qu'ils sont des êtres humains à part entière et cette démonstration convaincante sera leur plus belle victoire contre les a-priori et les préjugés qui leur collent toujours à la peau. |